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1675 écrivant à sa fille[1] sur la déroute[2], ne nomme le maréchal de Créquy que « le bon maréchal, le bon Créquy : » il y a un air malin dans cette lettre, qui ressemble bien à l’esprit de Son Altesse, mon père[3]. Il seroit à souhaiter que les équipages des morts, ou crus morts, ne revinssent point. Les gens de M. de Sanzei content cette déroute d’une terrible façon. Il y avoit deux mille hommes au fourrage ; ils n’étoient que cinq mille contre vingt-deux mille ; on ne croyoit point la rivière guéable, elle l’étoit en trois endroits : de sorte que l’armée des ennemis passoit, et prenoit nos troupes en flanc. La Trousse disoit son avis ; mais la tête tourne à moins. Le maréchal combattit comme un désespéré, et puis s’alla jeter dans Trèves, où il fait une défense d’Orondate. Il s’est sauvé beaucoup de troupes ; la terreur et la confusion ont été plus loin que la tuerie.

On n’a point trouvé le corps de M. de Sanzei ; mais ses gens l’ont vu se jeter dans un escadron qui s’appelle Sans quartier ; il cria, en s’y jetant, qu’on n’en fît point aussi ; il combattit longtemps ; ce qui resta de son régiment se rallia, et de lui point de nouvelles. Le peut-on imaginer autre part que sur le champ de bataille, où l’on n’a pu ni l’aller chercher d’abord, ni le reconnoître quand on y est allé au bout de douze jours ? La pauvre Mme de Sanzei arriva samedi à sept heures du matin, comme je montois en calèche pour m’en aller à Livry :

  1. Anne de Lorraine, comtesse de Lillebonne. (Note de Perrin.)
  2. La déroute de Conz-Saarbruck.
  3. C’est ainsi, à ce qu’il paraît, que Mme de Lillebonne avait coutume de dire en parlant de son père le duc de Lorraine : voyez la lettre du 29 septembre suivant, p. 151.