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1675je crains les reproches : au reste, une propreté extraordinaire ; il s’appelle Fidèle ; c’est un nom que les amants de la princesse n’ont jamais mérité de porter ; ils ont été pourtant d’un assez bel air ; je vous conterai quelque jour ses aventures. Il est vrai que son style est tout plein d’évanouissements, et je ne crois pas qu’elle ait eu assez de loisir pour aimer sa fille, au point d’oser se comparer à moi. Il faudroit plus d’un cœur pour aimer tant de choses à la fois ; pour moi, je m’aperçois tous les jours que les gros poissons mangent les petits : si vous êtes mon préservatif, comme vous le dites, je vous suis trop obligée, et je ne puis trop aimer l’amitié que j’ai pour vous : je ne sais de quoi elle m’a gardée ; mais quand ce seroit de feu et d’eau, elle ne me seroit pas plus chère. Il y a des temps où j’admire qu’on veuille seulement laisser entrevoir qu’on a été capable d’approcher à neuf cents lieues d’un cap[1]. La bonne princesse en fait toute sa gloire, en dépit de son miroir, qui lui dit tous les jours qu’avec un tel visage il en faut perdre jusqu’au souvenir. Elle m’aime beaucoup : à Paris on en médiroit ; mais ici c’est une faveur qui me fait honorer de mes paysans. Ses chevaux sont malades ; elle ne peut venir ici, et je ne l’accoutume pas à lui rendre mes devoirs que tous les huit ou dix jours : je lui dis en moi-même, comme M. de Bouillon à sa femme : « Si je voulois en carrosse aller faire des visites, et n’être pas aux Rochers, je serois à Paris. »

L’été Saint-Martin continue et mes promenades sont fort longues : comme je ne sais point l’usage d’une grande chaise, je repose ma corporea salma[2] tout du long de

  1. Ces mots sont ainsi expliqués par la leçon de notre manuscrit : « Capable d’aimer et d’être aimée. » —Voyez tome II, p. 135.
  2. Mon fardeau corporel.— C’est la fin d’un vers du Pastor fido de Guarini (acte III, scène vi) :
    Nè può già sostener corporea salma.