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1675 qu’on ne voit point ailleurs ; et il ne faut pas dire que c’est l’amitié que j’ai pour vous qui me les embellit, puisque de fort honnêtes gens, qui ne vous connoissent pas, les ont admirées.

Mais c’est assez vous louer pour cette fois. Les éloges ne doivent pas être comme vos lettres : ils ne sauroient être trop courts pour être bons.

Vous passerez, dites-vous, l’hiver en Bretagne ; cela est obligeant pour Mme  de Grignan : on voit bien qu’en son absence tous pays vous sont égaux.

Je vous plains d’être sujette aux vapeurs : c’est un mal plus désagréable qu’il n’est dangereux ; cependant il se fait craindre. C’est le chagrin qui le fait naître[1], et la crainte qui l’entretient et qui l’augmente. Il seroit bien moindre, si l’on ne croyoit pas qu’il fît mourir. Il ne le faut donc pas croire ; car effectivement il ne le fait pas.

Je suis d’accord avec vous, que la vie est trop courte : cent ans d’assurés seroit un temps raisonnable. Vous me demandez comment nous pourrions faire pour y parvenir : après y avoir bien songé, voici tout ce que j’ai pu trouver, non pas pour avoir aucune sûreté, mais au moins pour allonger vraisemblablement la vie. Ne dormir guère, manger peu, et ne pas craindre la mort ; s’ennuyer quelquefois, et quelquefois se divertir ; car si l’on se divertissoit toujours, la vie paroîtroit trop courte ; si l’on s’ennuyoit aussi toujours, on mourroit bientôt de chagrin. Mlle  de Bussy est de mon avis, et elle prétend user de ce régime ; quand son mari ne seroit pas tel qu’elle le souhaiteroit, elle n’en veut pas mourir un jour plus tôt. Elle veut, dit-elle, en ce cas-là, essayer à le survivre[2].

  1. 2. « Cependant il fait craindre. C’est le chagrin qui le fait venir. » (Manuscrit de l’Institut.)
  2. 3. « Essayer de le survivre. » (Ibidem.)