Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 4.djvu/496

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 490 —


1676mon sommeil se raccommode avec le matin : je ne suis plus une sotte poule mouillée ; je conduis pourtant très-sagement ma barque et si je m’égarois, il n’y auroit qu’à me crier : rhumatisme ! c’est un mot qui me feroit bien vite rentrer dans mon devoir. Plût à Dieu, ma chère enfant, que par effet de magie blanche ou noire, vous pussiez être ici ! Vous aimeriez premièrement les solides vertus du. maître de la maison ; la liberté qu’on y trouve plus grande qu’à Fresnes[1], et vous admireriez le courage et l’adresse qu’il a eue de rendre une affreuse montagne, la plus belle, la plus délicieuse et la plus extraordinaire chose du monde. Je suis sûre que vous seriez frappée de cette nouveauté. Si cette montagne étoit à Versailles, je suis sûre qu’elle auroit ses parieurs contre les violences dont l’art y opprime la pauvre nature dans l’effet court et violent de toutes les fontaines. Les hautbois et les musettes font danser la bourrée d’Auvergne aux Faunes d’un bois odoriférant, qui fait souvenir de vos parfums de Provence ; enfin, ma fille, on y parle de vous, on y boit à votre santé : ce repos m’a été agréable et nécessaire.

Je serai mercredi à Moulins, où j’aurai une de vos lettres, sans préjudice de celle que j’attends après dîner. Il y a dans ce voisinage des gens plus raisonnables et d’un meilleur air que je n’en ai vu en nulle autre province ; aussi ont-ils vu le monde et ne l’ont pas oublié. L’abbé Bayard me paroît heureux, et parce qu’il l’est, et qu’il croit l’être. Pour moi, ma chère Comtesse, je ne le puis être sans vous, ; mon âme est toujours agitée de crainte, d’espérance, et surtout de voir les jours écouler ma vie sans vous et loin de vous : je ne puis m’accoutumer à la

  1. LETTRE 548 (revue en grande partie sur une ancienne copie). — Chez Mme du Plessis Guénégaud. Voyez tome I, p. 493, la lettre du 1er août 1667.