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1676tristesse de cette pensée ; je vois le temps qui coule et qui vole, et je ne sais où vous reprendre. Je veux sortir de cette tristesse par un souvenir qui me revient d’un homme qui me parloit en Bretagne de l’avarice d’un certain prêtre : il me disoit fort naturellement : « Enfin, Madame, c’est un homme qui mange de la merluche toute sa vie, pour manger du saumon après sa mort. » Je trouvai cela plaisant, et j’en fais l’application à toute heure. Les devoirs, les considérations nous font manger de la merluche toute notre vie, pour manger du saumon après notre mort.


Je viens, ma fille, de recevoir votre lettre du 10e : je vous en remercie toujours par l’extrême plaisir que vos lettres me donnent. Je n’ai plus les mains enflées, mais je ne les ferme pas ; et comme j’ai toujours espéré que le chaud les remettroit, j’avois fondé mon voyage de Vichy sur cette lessive dont je vous ai parlé, et sur les sueurs de la douche, pour m’ôter à jamais la crainte du rhumatisme : voilà ce que je voulois, et ce que j’ai trouvé. Je me sens bien honorée du goût qu’a M. de Grignan pour mes lettres : je ne les crois jamais bonnes ; mais puisque vous les approuvez, je ne leur en demande pas davantage. Je vous remercie de l’espérance que vous me donnez de vous voir cet hiver ; je n’ai jamais eu plus d’envie de vous embrasser. J’aime l’abbé de vous avoir écrit si paternellement : lui qui souffre avec peine d’être six semaines sans me voir, ne doit-il pas entrer dans la douleur que j’ai de passer ma vie sans vous, et dans l’extrême desir que j’ai de vous avoir ?

On dit que Mme de Rochefort est inconsolable. Mme de Vaubrun[1] est toujours dans son premier désespoir. Je vous

  1. Voyez ci-dessus, p. 17, note 11, et p. 117.