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Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 4.djvu/504

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1676lettres, et quelque estime qu’on puisse avoir pour elles, rien n’approche de ce qu’elles me sont.

Vous jugez très-juste du moi des Essais de morale. Il est vrai qu’il y a, comme disoit le vieux Chapelain, teinture de ridiculité dans cette expression : le reste est trop grave pour cette bigarrure, mais nous en faisons un très-bon usage. Vous me peignez Grignan d’une beauté surprenante ; eh bien ! ai-je tort quand je dis que M. de Grignan, avec sa douceur, fait toujours précisément tout ce qu’il veut ? Nous avons eu beau crier misère : les meubles, les peintures, les cheminées de marbre n’ont-elles[1] pas été leur train ? Je ne doute point que tout cela ne soit parfaitement bien ; ce n’étoit pas là notre difficulté ; mais où a-t-il tant d’argent, ma fille ? c’est la magie noire.

Je vous conjure de ne me pas manquer cet hiver ; je ne puis avoir nulle sorte d’incommodité que celle de ne vous avoir pas. Voilà où mon courage m’abandonneroit. Ma chère enfant, ne laissez pas finir ma vie sans me donner la joie de vous embrasser tendrement. Pour mes mains, elles ne me font point de mal ; elles sont infermables encore ; mais je mange, et je m’en sers assez pour n’être quasi plus incommodée : je n’ai plus l’air malade, je suis votre bellissima : vous ne le voulez pas croire.

Vous ne gagnez que des victoires sur votre mer : je suis assurée que d’Hacqueville vous renverra votre relation ; car je ne crois pas qu’il puisse souffrir qu’il soit dit qu’un autre lui ait appris quelque chose. On ne peut rien de plus plaisant que ce que vous dites sur le maréchal de Vivonne, et la prévision qui lui a fait avoir cette dignité[2]. Voilà Corbinelli bien ravi de ces heureux succès.

  1. Il y a elles, et non ils, dans les deux éditions de Perrin, les seules qui nous aient conservé cette lettre.
  2. Le maréchal de Vivonne, vice-roi de Sicile, ayant l’amiral Duquesne sous ses ordres, avait remporté le 2 juin une victoire dé-