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Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 4.djvu/535

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1676fort grand feu, et les cendres au vent ; de sorte que nous la respirerons, et par la communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonnante, dont nous serons tout étonnés[1]. Elle fut jugée dès hier ; ce matin on lui a lu son arrêt, qui étoit de faire amende honorable à Notre-Dame, et d’avoir la tête coupée ; son corps brûlé, les cendres au vent. On l’a présentée à la question : elle a dit qu’il n’en étoit pas besoin, et qu’elle diroit tout ; en effet, jusqu’à cinq heures du soir elle a conté sa vie, encore plus épouvantable qu’on ne le pensoit. Elle a empoisonné dix fois de suite son père (elle ne pouvoit en venir à bout), ses frères et plusieurs autres ; et toujours l’amour et les confidences mêlés partout. Elle n’a rien dit contre Penautier. Après cette confession, on n’a pas laissé de lui donner dès le matin la question ordinaire et extraordinaire : elle n’en a pas dit davantage. Elle a demandé à parler à Monsieur le procureur général[2] ; elle a été une heure avec lui : on ne sait point encore le sujet de cette conversation. À six heures on l’a menée nue en chemise et la corde au cou, à Notre-Dame, faire l’amende honorable ; et puis on l’a remise dans le même tombereau, où je l’ai vue, jetée à reculons sur de la paille, avec une cornette basse et sa chemise, un docteur[3] auprès d’elle, le bourreau de l’autre côté : en vérité cela m’a fait frémir. Ceux qui ont vu l’exécution disent qu’elle a monté sur l’échafaud avec bien du courage. Pour moi, j’étois sur le pont Notre-Dame[4], avec la

  1. Il y a tous étonnés dans le manuscrit et dans l’édition de la Haye. Voyez tome I, p. 346, note 2.
  2. Achille de Harlay, procureur général au parlement de Paris depuis 1667, fut nommé premier président en novembre 1689.
  3. Le sieur Pirrot. Voyez la fin de la note 1.
  4. Sans doute à la fenêtre de l’une des soixante et une maisons dont le pont était alors chargé.