Aller au contenu

Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 4.djvu/8

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 2 —


———
1675
sailles le Cardinal ne comprit rien à ce discours. Comme le gentilhomme s’aperçut de son ignorance, il s’enfuit ; le Cardinal fit courre après, et sut cette terrible mort ; il s’évanouit ; on le ramena à Pontoise, où il a été deux jours sans manger, dans des pleurs et dans des cris continuels. Mme de Guénégaud et Cavoie[1] l’ont été voir, qui

  1. L’ami de Racine et de Seignelay, Louis Oger, « très-petit gentilhomme tout au plus, » connu d’abord sous le nom de chevalier, puis marquis de Cavoie. Il avait été élevé auprès de Louis XIV, qui en le mariant malgré lui, ce semble, avec Mlle de Coëtlogon, fille et sœur de deux lieutenants de Roi de Bretagne et ancienne fille d’honneur de la Reine. (tomes II, p. 105, note 7 ; p. 317, note 1 ; et III, p. 293), lui donna la charge de grand maréchal des logis (en 1677 voyez la lettre de Bussy au président Brulart de la Borde, en date du 30 janvier, tome III de la Correspondance de Bussy, p. 205). Sur sa belle mine, son surnom de brave Cavoie, ses duels, sa faveur, sa peine de ne pouvoir obtenir l’ordre, voyez Saint-Simon, tome I, p. 312 et suivantes. « Lié, dit-il, toute sa vie avec le plus brillant de la cour, il s’étoit érigé chez lui une espèce de tribunal auquel il ne falloit pas déplaire, compté et ménagé jusque des ministres, mais d’ailleurs bon homme, et un fort honnête homme, à qui on se pouvoit fier de tout. » Né en 1640, il mourut, sans enfants, quelques mois après Louis XIV, le 3 février 1716. Sa femme, qui était à peu près de son âge, lui survécut treize ans. Saint-Simon au même endroit, en deux de ses pages les plus gaies, a raconté l’histoire de Mlle de Coëtlogon, de cette « laide, sage, naïve, aimée et très-bonne créature, » éprise de Cavoie « jusqu’à la folie, » dont cependant, ce qui est un prodige, dit-il, tout le monde eut pitié ; qui un jour ne pouvant obtenir la délivrance de Cavoie (enfermé à la Bastille pour un duel), « querella le Roi jusqu’aux injures ; » et comme « il rioit de tout son cœur. en fut si outrée, qu’elle lui présenta ses ongles, auxquels le Roi comprit qu’il étoit plus sage de ne se pas exposer. » Reparlant d’elle à la mort de son mari, il achève ainsi de la faire connaître (tome XIII, p. 333) « Cavoie, sans cour, étoit un poisson hors de l’eau ; aussi n’y put-il longtemps résister. Si les romans ont rarement produit ce qu’on a vu de sa femme à son égard, ils auroient peine à rendre le courage avec lequel cet amour pour son mari. la soutint pour l’assister dans sa longue maladie et à sa mort, voulant, disoit-elle, qu’il fût heureux en l’autre vie ; ni la sépulture à laquelle elle se condamna à sa mort, et qu’elle garda fidèlement jusqu’à la sienne. Elle conserva son premier deuil toute sa vie. ne s’occupa que de bonnes œuvres de toutes les sortes, presque toutes relatives au salut de son mari, et se consuma ainsi en peu d’années, sans avoir jamais foibli. Une véhémence si égale et si soutenue, sans relâche ni amusement de quoi que ce soit, et toujours surnagée de religion, est peut-être un exemple unique et bien respectable. »