Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 4.djvu/9

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ne sont pas moins affligés que lui. Je viens de lui écrire un billet qui m’a paru bon : je lui dis par avance votre affliction, et par son intérêt, et par l’admiration que vous aviez pour le héros. N’oubliez pas de lui écrire : il me paroît que vous écrivez très-bien sur toutes sortes de sujets : pour celui-ci, il n’y a qu’à laisser aller sa plume. On paroît fort touché dans Paris, et dans plusieurs maisons, de cette grande mort. Nous attendons avec transissement le courrier d’Allemagne. Montecuculi, qui s’en alloit, sera bien revenu sur ses pas, et prétendra bien profiter de cette conjoncture. On dit que les soldats faisoient des cris qui s’entendoient de deux lieues ; nulle considération ne les pouvoit retenir : ils crioient qu’on les menât au combat ; qu’ils vouloient venger la mort de leur père, de leur général, de leur protecteur, de leur défenseur ; qu’avec lui ils ne craignoient rien, mais qu’ils vengeroient bien sa mort ; qu’on les laissât faire, qu’ils étoient furieux, et qu’on les menât au combat. Ceci est d’un gentilhomme qui étoit à M. de Turenne, et qui est venu parler au Roi ; il a toujours été baigné de larmes en racontant ce que je vous dis, et la mort de son maître, à tous ses amis[1]. M. de Turenne reçut le coup au travers du corps : vous pouvez penser s’il tomba[2] et s’il mourut. Cependant le reste des esprits fit qu’il se traîna la longueur d’un pas, et que même il serra la main par con-

  1. « Et les détails de la mort de son maître. »  » (Édition de 1754.) À tous ses amis manque.
  2. « S’il tomba de cheval. » (Ibidem.)