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core il est allé se promener à Chantilly et à Liancourt avec les la Rochefoucaulds. Il en étoit aise comme quand on a quinze ans. Je le reverrai devant qu’il parte.

Ne me parlez point de vous aller voir ; vous me détournez de la pensée de tous mes tristes devoirs. Si je croyois mon cœur, j’enverrois paître toutes mes petites affaires, et m’en irois à Grignan avec lui ; je planterois là le bien Bon, puisqu’il est le bien méchant, et pour quatre jours qu’on a à vivre, je vivrois à ma mode, et suivrois mon inclination : quelle folie de se contraindre pour des routines de devoirs et d’affaires ! Eh, bon Dieu ! qui est-ce qui nous en sait gré ? Je ne suis que trop dans toutes ces pensées ; la règle n’est plus, à mon grand regret, que dans mes actions ; car pour mes discours, ils ont pris l’essor, et je me tire au moins de la contrainte d’approuver tout ce que je fais. Vos affaires règlent ma vie présentement, c’est tout ce qui me console. Je m’en vais courir en Bretagne pendant les vacances, et je serai de retour au mois de novembre, pour m’abandonner à toute la chicane que me prépare l’infidélité de M. de Mirepoix.

Dépit mortel, juste courroux,
Je m’abandonne à vous[1].

Je ne suis nullement contente de la Puy-du-Fou ; si elle aimoit M. de Grignan, elle auroit tout fini, et nous avons vu que ce qu’elle fit l’autre jour n’étoit que l’effet de la rage où elle étoit contre le Mirepoix, qui l’avoit pressurée par vingt signatures. Quand elle a son naturel[2]

  1. Le monologue de Médée, qui termine le deuxième acte du Thésée de Quinault, commence ainsi :
    Dépit mortel, transport jaloux,
    Je m’abandonne à vous.
  2. Dans l’édition de la Haye (1726) : « Quand elle est en son naturel. »