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regarder quinze cents hommes morts en un endroit du combat, pour trouver ce pauvre garçon, qu’on a enfin reconnu, percé de dix ou douze coups. Sa pauvre mère demande sa charge de grand maréchal des logis, qu’elle a achetée ; elle crie et pleure, et ne parle qu’à genoux ; on lui répond qu’on verra ; et vingt-deux ou vingt-trois hommes demandent cette charge. Pour dire le vrai, on reconnoît tous les jours que jamais une défaite n’a été si remplie de désordre et de confusion, que celle du maréchal de Créquy. Je vis samedi sa femme chez M. de Pompone : elle n’est pas reconnoissable ; les yeux ne lui sèchent pas. M. de Pompone et Mme de Vins me disent mille amitiés pour vous ; je crois que le détour que vous devez prendre quand vous.aurez affaire à ce ministre, c’est de lui écrire à lui-même, et d’adresser votre lettre à Mme de Vins, plus pour l’obliger que pour avoir besoin d’elle.

M. de Pompone me dit qu’il y avoit encore du désordre en Provence ; je n’en avois pas entendu parler ; je lui demandai que c’étoit : il me dit que c’étoit un président de Cariolis[1] qui ne finissoit point de faire le provençal. Je lui dis : « Mais M. de Grignan n’est pas mêlé dans ses affaires ? — Non me dit-il, mais on a ses amis, et l’on écrit pour ses amis. » Vous entendez bien que c’est la Provence. Il me parla d’une dépêche qu’on a adressée à M. Colbert, qui est de sa charge à lui ; il me parut piqué de cette conduite, et me dit qu’il vouloit en savoir la vérité : moi, ne sachant rien, je me trouvai embarrassée. Je lui dis : « Je suis bien assurée que ce n’est pas M. de Grignan qui a fait cette faute. — Non assurément, me

  1. De la même famille que le président Cariolis, beau-père de Malherbe ?