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fait tout le prix, au moins pour les courtisans, car toutes les bonnes têtes l’ont louée depuis le commencement jusqu’à la fin. Il dîna samedi avec moi et le bel abbé : je suis ravie quand je vois quelque Grignan.

Enfin, ma chère enfant, cherchez bien dans toute la cour et dans toute la France, il n’y a que moi qui n’aie point la joie de voir une fille si parfaitement aimée, et peut-être que j’étois celle qui méritois le plus de passer ma vie avec elle. Ce sont des règles de la Providence, auxquelles je ne puis me soumettre qu’avec des peines que je ne vous dis point et qui vous feroient pitié. Nous faisons donc bien de nous écrire, puisque c’est tout ce que nous avons. Je comprends l’occupation que vous donnent mes lettres, et combien elles vous détournent de vos civilités : vous perdez connoissance, dites-vous ; je souffre deux fois la semaine que l’on m’en dise autant ; il ne faut point d’autre livre que ces abominables lettres que je vous écris : je vous défie de les lire tout de suite ; enfin vous en êtes contente, c’est assez. Voilà le gros abbé qui me dit cent folies de mon voyage de Bretagne : nous trouvons que je n’ai pris ma résolution que depuis ce que j’ai appris du désordre des séditieux ; il dit que je ne veux pas perdre une si belle occasion, que je ne retrouverois peut-être jamais de ma vie.

Le chevalier de Lorraine[1] est revenu auprès de Monsieur, comme si de rien n’étoit : il a trouvé quelque charitable personne qui l’a remis dans le bon ou dans le mauvais chemin. Cette petite nouvelle n’a pas donné beaucoup d’attention : elle a paru une misère, qui n’a pas tenu sa place devant la mort de M. de Turenne et tout

  1. On a vu, dans les lettres du 9 et du 12 août précédents, que le chevalier de Lorraine s’était brouillé avec Monsieur, et s’était retiré à son abbaye de Saint-Jean des Vignes ; voyez encore, sur son retour, la lettre du 28 août suivant, p. 103 et 104.