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l’ont pas découverte ; enfin ils n’ont pas douté que cette belle âme ne fût retournée tout droit au ciel, d’où elle étoit venue[1].

Mais ne faites-vous pas une remarque que j’ai faite, qui est que ce qui passe aujourd’hui pour une victoire, d’avoir repassé le Rhin sans avoir été taillés en pièces depuis la mort de M. de Turenne, eût été un grand malheur s’il fût arrivé pendant sa vie[2] ?

Au reste, que dites-vous de la déroute du maréchal de Créquy ? Le Roi l’a nommée lui-même une défaite complète. Il a répondu divinement aux courtisans qui lui en ont parlé. À ceux qui vouloient excuser ce maréchal, il a dit : « Il est vrai qu’il est fort brave ; je comprends son désespoir ; mais enfin mes troupes ont été battues par des gens qui n’avoient jamais fait autre chose que de jouer à la bassette. » À ceux qui le blâmoient et qui demandoient pourquoi il avoit donné la bataille, il leur a répondu comme fit autrefois le duc de Weimar, à qui le vieux Parabère[3] demandoit : « Monsieur, pourquoi donniez-vous cette dernière bataille que vous perdîtes ? — Monsieur, répondit le duc de Weimar, c’est que je croyois la gagner. » Cette application est fort juste et fort plaisante. À ceux qui le vouloient consoler, lui disant qu’il

  1. Comparez plus haut la première lettre du 16 août, p. 52, et la lettre de Bussy, du 11 août, p. 42.
  2. Voyez la lettre à Mme de Grignan, du 9 août précédent, p. 31. — Dans le manuscrit de l’Institut, la fin de la phrase est un peu différente : « auroit été un grand malheur, s’il avoit été en vie. » — L’autre copie autographe, dont nous suivons le texte, porte à la suite de ce paragraphe ces mots ajoutés après coup et écrits d’une autre main que celle de Bussy : « Ce que vous écrivez au Roi sur sa mort fait bien de l’honneur au maréchal et à vous aussi, mon pauvre cousin. » Cette lettre au Roi est à la p. 182 de l’édition de 1697, et dans la Correspondance de Bussy, au tome III, p. 458.
  3. Dans le manuscrit de l’Institut : « un vieux Parabère. »