Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 5.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1677 agréablement amusée, depuis dimanche, à dire adieu à ces Messieurs qui s’en vont à Grignan, je me serois fort bien désespérée. Je devois m’en retourner hier ; je ne m’en irai que vendredi : on ne sauroit vous expliquer l’horreur de la chicane.

Je soupai hier chez la marquise d’Uxelles, pour embrasser[1], pour la sixième fois, la Garde et l’abbé de Grignan, et au lieu de leur dire « Messieurs, je suis bien fâchée de votre départ, » je leur dis « Messieurs, que vous êtes heureux ! que je suis aise que vous partiez ! Allez, allez voir ma fille ; vous lui donnerez de la joie, vous la verrez en santé. Elle est belle, elle est tranquille, elle est gaie : plût à Dieu que je fusse de la partie ! » II s’en faut bien que la Providence fasse[2] cet arrangement ; mais enfin, ma fille, je suis assurée de votre santé : Montgobert ne me trompe pas ; dites-le-moi cependant encore ; écrivez-le-moi en vers et en prose ; répétez-le-moi pour la trentième fois, que tous les échos me redisent cette charmante nouvelle ; si j’avois une musique comme M. de Grignan, ce seroit là mon opéra. IL est vrai que je suis ravie de penser au miracle que Dieu a fait en vous guérissant par ce pénible voyage, et ce terrible air de Grignan, qui devoit vous faire mourir. J’en veux un peu à la prudence humaine[3]. ; je me souviens de quelques tours qu’elle a faits, dignes de risée : la voilà décriée pour jamais.

Comprenez-vous bien la joie que j’aurai, si je vous revois avec cet aimable visage qui me plaît, un embonpoint raisonnable, une gaieté qui vient quasi toujours de la

  1. 2. « Où j’embrassai. » (Édition de 1754.)
  2. 3. « Hélas ! il s’en faut bien que la Providence ne fasse. » (Ibidem.)
  3. 4. « …de penser au miracle que Dieu a fait pour vous ; j’en veux un peu à la prudence humaine. » (Ibidem.)