Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 5.djvu/410

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1678 damné, et j’ai tellement agrandi mes maux par l’impatience, que j’eusse crevé dans la Bastille, si un mois avant que d’en sortir je ne m’étois soumis à tout ce qu’il plairoit à Dieu de faire de moi. Cette résignation me donna de la gaieté, et me sauva de l’opération à quoi les chirurgiens m’avoient alors condamné[1]. Depuis ce temps-là, Madame, vous ne doutez pas que, m’étant bien trouvé de la patience et de la gaieté, j’aie souvent usé de ce remède ; et il m’a mis en état qu’ayant perdu mes services de plus de trente années, le retour de la bonne fortune m’est indifférent, et que même je n’ai jamais bien goûté la vie que depuis ma disgrâce. Voilà ma recette, que j’envoie à la belle Provençale, ma chère cousine. Je ne pense pas que la différence qu’il y a en nos tempéraments empêche mon remède de lui servir : il me paroit qu’il peut être utile à tout le monde.

Il est certain que pour les malheureux il n’y a qu’à vivre ; comme on ne perd au jeu que faute d’argent, on ne demeure en disgrâce que faute de vie. Je crois vous avoir déjà dit cela, Madame ; mais je vous supplie de trouver bon que je le répète aujourd’hui[2]. Vous serez bien heureuse si je ne vous le redis pas encore dix fois. Pour ce qui est de votre vision sur l’histoire du Roi, je la trouve de bon sens, et je m’estime davantage d’avoir pensé là-dessus comme vous il y a plus de treize ans, et renouvelé il y a six mois ; je vous en rendrai compte avant qu’il soit peu.

  1. 2. « …m’avoient condamné. Depuis ce temps-là, vous croyez bien que… j’ai souvent usé, etc. » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale.) Le même manuscrit donne, trois lignes plus loin : « je n’ai jamais goûté la vie » et à la fin du paragraphe : « ce qu’il y a de bon en lui, c’est qu’il peut être utile à tout le monde. »
  2. 3. « Aujourd’hui » manque dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale, où ne se trouve pas non plus la phrase suivante. Ce manuscrit porte, trois lignes plus loin : « d’avoir pensé cela comme vous. »