Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 5.djvu/411

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1678 Le P. Rapin est extraordinairement affligé de la mort du premier président[1] mais guère plus que moi. Je savois qu’il m’aimoit et qu’il m’estimoit autant qu’homme du monde ; et vous savez comment j’ai le cœur fait pour ceux de la tendresse desquels je suis bien persuadé.

  1. 4. Bussy avait écrit, le 12 décembre 1677, au P. Rapin sur cette mort, et celui-ci lui répondit le 26 une lettre touchante qui contient un bel éloge du président Lamoignon. Nous en donnons le texte tel qu’on le lit dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale, tome VIII, p. 320 bis-322. « Il est vrai, Monsieur, que c’est un coup de tonnerre que cette mort, pour les amis et pour la famille du grand homme que nous pleurons ; mais c’est un coup de grâce pour lui. Il y avoit deux ans qu’il se préparoit à mourir ; il fit son testament l’année passée à Bâville ; il ne lisoit de livres de dévotion que ceux qui lui parloient de la mort ; il écrivit à Mesdames ses filles de Sainte-Marie, cinq semaines avant que de mourir, une lettre qui est une vraie prophétie de sa mort. À l’ouverture qu’il fit au parlement, trois semaines avant que de mourir, ce fut un discours sur ce qu’on ne pensoit pas à la mort, quoique depuis deux ans il se portât bien mieux qu’il ne faisolt auparavant. Les médecins disent que la cause de sa mort fut une pierre qu’on trouva dans l’uretère en ouvrant son corps, qui empêchoit le passage de l’urine et fit le transport au cerveau, car il ne se sentit presque pas mourir. Mais ce n’est pas cela, Monsieur, c’est que Dieu est en colère contre nous : nous n’étions pas dignes, dans le misérable siècle où nous vivons, de posséder plus longtemps un si grand homme ; car il n’y eut jamais une plus belle âme jointe à un plus bel esprit ; mais enfin, Monsieur, le plus grand de tous les éloges est que le peuple l’a pleuré, et chacun s’est plaint de sa mort comme de la perte d’un ami ou de celle d’un bienfaiteur. Pour vous, Monsieur, vous y avez perdu un ami tendre et sincère : il vous connoissoit pour homme droit et d’un esprit extraordinaire, et il vous aimoit parfaitement. Je pense à faire quelque chose qui puisse le faire connoître à ceux qui me l’ont pas vu et à la postérité. Au nom de Dieu, Monsieur, aidez-moi de vos lumières ; vous l’avez connu et vous l’avez compris : cette honnêteté, cette grandeur d’âme, cette sagesse, cette modestie, cet homme qui ne faisoit point de fautes parmi les écueils du palais et de la cour, car vous connoissiez tout cela ; ayez la bonté d’y faire quelques réflexions et de me mander vos pensées : vous devez cela à l’amitié que vous aviez pour lui et à celle que vous me faites l’honneur d’avoir pour moi ; je m’y attends, car je connois votre cœur, etc. »