Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 5.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1678 médecin : c’est M. de la Garde qui l’a amené ; nous ne l’avions jamais vu ; il a bien de l’esprit et de la science ; il parle avec une connoissance et une capacité qui surprend, et n’est point dans la routine des autres médecins qui accablent de remèdes : il n’ordonne rien que de bons aliments ; il trouve la maigreur de ma fille et la foiblesse fort grande ; il voudroit bien qu’elle prît du lait comme le remède le plus salutaire, mais l’aversion qu’elle y a fait qu’il n’ose seulement le proposer : elle prend le demi-bain et des bouillons rafraîchissants ; il ne la veut contraindre sur rien ; mais quand elle lui a dit que sa maigreur n’étoit rien, et qu’après avoir été grasse on devient maigre, il lui a dit qu’elle se trompoit, que sa maigreur venoit de la sécheresse de ses poumons, qui commençoient à se flétrir, et qu’elle ne demeureroit point comme elle est ; qu’il falloit ou qu’elle se remît en santé, ou que sa maigreur viendroit jusqu’à l’excès, qu’il n’y avoit point de milieu ; que ses langueurs, ses lassitudes, ses pertes de voix, marquoient que son mal étoit au poumon ; qu’il lui conseilloit la tranquillité, le repos, les régimes doux, et surtout de ne point écrire ; qu’il espéroit qu’elle pourroit se remettre, mais que si elle ne se rétablissoit pas, elle iroit toujours de pis en pis. M. de la Garde a été témoin de tout ce discours : envoyez-lui ma lettre si vous voulez. j’ai demandé à M. Fagon si l’air subtil lui étoit contraire : il a dit qu’il l’étoit beaucoup ; je lui ai dit l’en-

    posoit, que si on lui eût été personnellement contraire… Il étoit l’ennemi le plus implacable de ce qu’il appeloit charlatans, c’est-à-dire des gens qui prétendoient avoir des secrets et donner des remèdes… Il aimoit sa Faculté de Montpellier, et en tout la médecine, jusqu’au culte… Avec cela délié courtisan, et connoissant parfaitement le Roi, Mme  de Maintenon, la cour et le monde… Sa faveur et sa considération, qui devinrent extrêmes, ne le sortirent jamais de son état ni de ses mœurs, toujours respectueux et toujours à sa place. »