Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1679 primo amor del cor mio[1]: c’est la raison que le mari donne à tout le monde. Toute cette affaire a été conduite avec tant de silence qu’on n’en a rien su que dimanche matin. Ils avoient été mariés à minuit à Saint-Paul. Le Roi a été le premier dans cette confidence; il a signé au contrat, et n’ayant plus les raisons qu’il avoit il y a deux ans, il a changé, et approuvé ce mariage. Il y avoit vingt-neuf personnes qui étoient nécessairement dans ce secret, et qui ont su se taire. On ne voyoit point ces mariés le lendemain; et le mardi, qui étoit hier, la mère et la fille sont allées à Rochefort voir la grand’mère[2], qui avoit envoyé toutes ses procurations, et qui les a reçues à merveilles. Il n’a point été question de beaux habits, ni d’étalage sur un lit[3]; rien qu’une bonne princesse de Guémené, qui est assurément la plus grande dame de France, et qui vivra fort bien avec cet homme, à qui elle croit, avec raison, être fort obligée. C’est un homme étrange, c’est un homme qui n’a point appris, comme vous, dans sa jeunesse, à vaincre l’ennemi de la Trappe; il a mangé du sel toute sa vie, et ne sauroit s’en passer; trois mois de veuvage lui ont paru trois siècles;


    Mlle de Luynes, et que, d’ailleurs, il n’a pas l’esprit d’être inconsolable. On ne sent qu’à proportion de ce qu’on eonnoît et l’on ne regrette comme il faut que quand on sait bien ce qu’on a perdu. » Le prince de Guémené paraît avoir été aussi naïf que le duc de Montbazon son bisaïeul. «M. le prince de Guémené, dit l’abbé de Choisy dans ses Mélanges historiques, étant allé à la foire le lendemain de ses secondes noces pour voir le cercle de Benoît, y vit sa première femme, qui n’étoit morte que depuis trois mois, et il s’écria en pleurant: « Hélas la pauvre femme! si elle n’étoit point morte, je ne me serois jamais remarié. »

  1. 10. « Premier amour de mon cœur. » (Pastor fido, acte III, scène vi.)
  2. 11. Anne de Rohan, princesse douairière de Guémené, la célèbre maîtresse de Retz, morte le 14 mars 1685. Elle habitait le château de Rochefort, en Beauce.
  3. 12. Voyez ci-après, p. 132, note 12.