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766. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 29e décembre.

Ma très-chère fille, figurez-vous que je suis à genoux devant vous, et qu’avec beaucoup de larmes je vous demande, par toute l’amitié que vous avez pour moi, et par toute celle que j’ai pour vous, de ne me plus écrire que comme vous avez fait la dernière fois. Ma chère enfant, c’est tellement du cœur[1] que je vous demande cette grâce, qu’il est impossible que cette vérité ne se fasse sentir au vôtre[2]. Hélas ! ma chère enfant, toute épuisée, toute accablée, n’en pouvant plus, une douleur et une sécheresse de poitrine épouvantable ! et moi, qui vous aime chèrement, je puis contribuer à votre perte ; je puis me reprocher d’être cause de cet état douloureux et périlleux ; moi, qui donnerois ma vie pour sauver la vôtre, je serai cause de votre perte, et j’aurai si peu de tendresse pour vous, que je mettrai en comparaison le plaisir de lire vos lettres, et les réponses très-agréables que vous me faites sur des bagatelles, avec la douleur de vous tuer, de vous faire mourir ; ma très-chère, cette pensée me fait frissonner : s’accommode qui voudra de cet assassinat ; pour moi, je ne puis l’envisager, et je vous jure et vous proteste que si vous m’écrivez plus d’une feuille, et que pour les nouvelles vous ne vous serviez de Montgobert, ou de Gautier, je vous jure que je ne vous écrirai plus du

  1. Lettre 766 (revue en partie sur une ancienne copie). — 1. « Du fond de mon cœur. » (Édition de 1754.)
  2. 2. Tout ce qui suit, jusqu’à : « Quoi ! je pourrois me reprocher (p. 160), » manque dans l’édition de 1754, qui donne, à cette reprise, la variante que voici : « Quoi ! je pourrois me reprocher votre accablement, votre épuisement ! ah ! ma chère enfant, cette pensée me fait assez de mal, etc. »