Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 6.djvu/429

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1680 il en a rapporté quatre cents pistoles, dont il n’eut pas un sou un mois après. Il est impossible de comprendre ce qu’il fait, ni ce que son voyage de Bretagne lui a coûté[1], où il étoit comme un gueux, car il avoit renvoyé ses laquais et son cocher à Paris : il n’avoit que le seul Larmechin dans cette ville, où il fut deux mois. Il trouve l’invention de dépenser sans paroître, de perdre sans jouer, et de payer sans s’acquitter ; toujours une soif et un besoin d’argent, en paix comme en guerre ; c’est un abîme de je ne sais pas quoi, car il n’a aucune fantaisie, mais sa main est un creuset qui fond l’argent[2]. Ma bonne, il faut que vous essuyiez tout ceci. Toutes ces dryades affligées que je vis hier, tous ces vieux sylvains qui ne savent plus où se retirer, tous ces anciens corbeaux établis depuis[3] deux cents ans dans l’horreur de ces bois, ces chouettes qui, dans cette obscurité, annonçoient, par leurs funestes cris, les malheurs de tous les hommes ; tout cela me fit hier des plaintes qui me touchèrent sensiblement le cœur ; et que sait-on même si plusieurs de ces vieux chênes n’ont point parlé, comme celui où étoit Clorinde[4] ? Ce lieu étoit un luogo d’incanto[5], s’il en fut jamais : j’en revins toute triste ; le soupé que me donna le premier président et sa femme ne fut point capable de me réjouir.

Il faut que je vous conte ce que c’est que ce premier président ; vous croyez que c’est une barbe sale et un

  1. 4. Dans le texte de 1737, la phrase finit aux mots lui a coûté ; dans celui de 1754, elle continue ainsi : « quoiqu’il eût renvoyé ses laquais et son cocher à Paris, et qu’il n’eût que le seul Larmechin, etc. »
  2. 5. « Où l’argent se fond. » (Édition de 1754.)
  3. 6. Les mots : « tous ces anciens corbeaux établis depuis, » ont été sautés dans notre manuscrit.
  4. 7. Voyez le chant treizième de la Jérusalem délivrée, du Tasse. (Note de Perrin.)
  5. 8. Ou, comme dit poétiquement le Tasse (chant XIII, stance 20), incantato loco, « lieu d’enchantement, lieu enchanté. »