Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 7.djvu/420

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1685 vrai que cette longueur me donnoit du chagrin, et je mandois à mon amie que je croyois qu’on me flattoit : voilà une réponse toute naturelle, qui vous fait voir que nos pères se moquent de moi : j’en suis ravie ; je suis donc parfaitement guerie, puisqu’il y a six semaines et au delà que je n’ai plus aucune plaie, ni approchant. Je marche tant que je veux : je mets d’une eau d’émeraude si agréable, que si je ne la mettois sur ma jambe, je la mettrois sur mon mouchoir ; si j’en ai besoin, je mettrai du sang de lièvre ; mais je suis si bien aujourd’hui, que je crois que je prendrai le parti qu’ils me conseillent, qui est de mépriser ma jambe, et de ne la point questionner à tout moment : je suis assurée que si j’étois à Paris je n’y penserois pas. Il me semble que c’est cette négligence que vous voulez présentement inspirer à M. de Grignan ; vous trouvez qu’il se porte mieux, depuis qu’il a été à Versailles. Vous expliquez divinement cette manière de s’oublier soi-même en ce lieu-là, quoiqu’en effet on n’y songe qu’à soi, sous l’apparence d’être entraîné par le tourbillon des autres ; il n’y a qu’à répéter vos propres paroles : « On y est si caché et si enveloppé, qu’on a toutes les peines du monde à se reconnoître pour le but des mouvements qu’on se donne. » Je défie l’éloquence de mieux expliquer cet état. Il faut donc chercher à s’éloigner directement de soi-même, et à porter son attention sur d’autres sujets. Les capucins sont bien de cet avis, et ne répondent point quand on leur dit des bagatelles. Au reste, ils sont fâchés qu’on ait saigné M. de Grignan ; ils disent que rien ne lui étoit si mauvais, et qu’ils seroient ravis de le traiter, s’ils étoient auprès de lui, mais que de loin ils ne veulent seulement pas dire leur avis. Ils sont grands observateurs de tous les moments, de l’humeur, des chagrins, de la physionomie : si vous en voulez davantage, faites agir M. de Chaulnes,