Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 8.djvu/484

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qu’on ne soutient pas sans larmes [1] la mesure de l’approbation qu’on donne à cette pièce, c’est celle du goût et de l’attention. J’en fus charmée, et le maréchal aussi, qui sortit de sa place, pour aller dire au Roi combien il étoit content, et qu’il étoit auprès d’une dame qui étoit bien digne d’avoir vu Esther. Le Roi vint vers nos places, et après avoir tourné, il s’adressa à moi, et me dit « Madame, je suis assuré que vous avez été contente. » Moi, sans m’étonner, je répondis « Sire, je suis charmée ; ce que je sens est au-dessus des paroles. » Le Roi me dit « Racine a bien de l’esprit. Je lui dis « Sire, il en a beaucoup ; mais en vérité ces jeunes personnes en ont beaucoup aussi elles entrent dans le sujet comme si elles n’avoient jamais fait autre chose. » Il me dit « Ah ! pour cela, il est vrai.[2] Et puis Sa Majesté s’en alla, et me laissa l’objet de l’envie comme il n’y avoit quasi que moi de nouvelle venue, il eut [3]quelque plaisir de voir mes sincères admirations sans bruit et sans éclat. Monsieur le Prince, Madame la Princesse me vinrent dire un mot ; Mme de Maintenon, un éclair: elle s’en alloit avec le Roi je répondis à tout, car j’étois en fortune. Nous revînmes le soir aux flambeaux. Je soupai chez Mme de Coulanges, à qui le Roi avoit parlé aussi avec un air d’être chez lui qui lui donnoit une douceur trop aimable. Je vis le soir Monsieur le chevalier je lui contai tout naïvement mes petites prospérités, ne voulant point les cachoter sans savoir pourquoi, comme de certaines personnes ; il en fut content, et voilà qui est fait; je suis assurée qu’il ne m’a point trouvé, dans la suite, ni une sotte vanité, ni un transport de bourgeoise : demandez-lui. Monsieur de

  1. 9. D'une beauté singulière (Edition de 1754).
  2. 10. Ah pour cela, reprit-il, il est vrai. » (ibidem.)
  3. 11. Le Roi eut. » (Ibidem.)