1233. DE MADAME DE SÉVIGNÉ
A MADAME DE GRIGNAN.
Aux Rochers, mercredi 9è novembre.
Monsieur d’Arles[1] a donc passé au travers de ces feux du Tasse, de ces grands fantômes, de ces hommes armés (car tout cela défendoit le passage[2]), et n’a rien trouvé que des landes sèches et stériles : voilà qui est bien triste. Pour moi, j’espérois que nous y trouverions du bois pour faire la charpente de notre dernier étage, et qu’ainsi Monsieur d’Arles verroit son appartement habitable, et M. de Grignan seroit hors de la nécessité de monter dans les gouttières, chose dont il me paroit désabusé depuis longtemps. Ainsi, ma belle, tout seroit fini ; mais comment peut faire Monsieur de Carcassonne de résister à la vivacité de Monsieur d’Arles, qui prend le lièvre au corps en lui disant : « Donnez-moi quatre cents écus, et rendormez-vous, et laissez-moi faire ? » Pour moi, je le crois en léthargie ; il y a de la vapeur épaisse à ne pas répondre un seul mot à de si fortes raisons, et il faut assurément qu’on le secoue davantage, et qu’on le tourmente pour le réveiller. Je crois que Monsieur d’Arles recevra à Grignan la lettre que je lui écris : répondra-t-il bien aisément sur cette noble fierté que je blâme, et qui lui fait sentir personnellement une préférence de
- ↑ LETTRE 1233. 1. Ce premier alinéa ne se trouve que dans l’édition de 1754.
- ↑ 2. Voyez le chant XIII de la Jérusalem délivrée du Tasse. -- Au sujet de cette allusion Perrin (1754) a cru devoir faire la note que voici : « L’imagination de Mme de Sévigné étoit si riante, son esprit étoit si juste, si orné, que l’excellent usage qu’elle faisoit de ses lectures n’a rien de surprenant. Mais ce qui n’est pas ordinaire, c’est qu’une mère soit assurée, comme l’étoit Mme de Sévignë, de trouver dans une fille digne d’elle autant d’esprit et autant de goût qu’il en falloit pour bien entendre toute la finesse de certaines applications. »