seule : on m’aime en ce pays ; j’eus hier deux hommes de très-bonne compagnie, molinistes[1]: je ne m’ennuyai point : j’ai mes lectures, des ouvriers, un beau temps ; si ma chère fille étoit un peu moins accablée, avec l’espérance de la revoir qui me soutient, que me faudroit-il ?
J’ai écrit au marquis, quoique je lui eusse déjà fait mon compliment : je le prie de lire dans cette vilaine garnison[2] où il n’a rien à faire ; je lui dis que puisqu’il aime la guerre, il est monstrueux de n’avoir point envie de voir les livres qui en parlent, et les gens[3] qui ont excellé dans cet art ; je le gronde, je le tourmente ; j’espère que nous le ferons changer : ce seroit la première porte qu’il nous auroit refusé d’ouvrir[4]. Je suis moins fâchée qu’il aime un peu à dormir, sachant bien qu’il ne manquera jamais à ce qui touche sa gloire, que je ne le suis de ce qu’il aime à jouer. Je lui fais entrevoir que c’est sa ruine8, et ce qui lui apprendra mille mauvaises choses qu’il devroit ignorer : s’il joue peu il perdra peu ; mais c’est une petite pluie qui mouille : s’il joue mal, il sera trompé ; il faudra payer ; et s’il n’a point d’argent, ou il manquera de parole, ou il prendra sur son nécessaire. On est malheureux aussi parce qu’on est ignorant ; car même sans s’être trompé, il arrive que l’on perd toujours. Enfin, ma fille, ce seroit une très-mauvaise chose, et pour lui, et pour vous, qui en sentiriez le contre-coup ; Il seroit donc bien heureux d’aimer à
8. « Que c’est une ruine. » (Édition de 1754.) Le membre de phrase : « et ce qui lui apprendra, etc., » n’est que dans l’édition de 1737.