Grignan; je me flatte que s’il étoit ici, il seroit tenté de marcher par la diversité des allées qui l’amuseroient. Adieu, très-chère : je ne puis vous dire combien je vous aime, ni combien votre amitié est nécessaire à la douceur de ma vie.
1268. DE MADAME DE SÉVIGNÉ
A MADAME DE GRIGNAN.
Aux Rochers, dimanche 26è février.
JE n’eusse jamais cru pleurer comme j’ai fait le pauvre la Chau[1] ; mais il n’est pas possible de lire ce que vous mandez de la douleur si vive et si naturelle de sa pauvre femme, sans avoir le cœur touché, et en même temps les larmes aux yeux. Voilà vraiment un malheur bien marqué, et une destinée que rien ne pouvoit empêcher. Cet homme est pressé, il veut arriver : on lui conseille de ne se point exposer ; on lui dit de bonnes raisons, on veut au moins le détourner de se mettre dans ce petit bateau : non, il n’écoutera rien, il faut qu’il aille, il faut qu’il soit juste au rendez-vous ; la mort l’attend sur le Rhône, à un certain endroit : il s’y trouvera, il faut qu’il y périsse. Mon Dieu ! ma chère enfant, que tout cela est bien arrangé ! Tout le monde se retrouve dans cet accident et dans la douleur de cette femme : comme nous sommes exposés à de pareilles détresses, c’est notre intérêt qui nous fait pleurer, quand nous croyons pleurer le malheur des autres. Le christianisme veut que l’on pense d’abord au salut de ce pauvre homme, mais sa femme sera fâchée en-
- ↑ LETTRE 1268. -- 1. Probablement ce même domestique de Mme de Grignan dont il a été parlé au tome VII, p. 368, où il faut peut-être lire Lachau ou la Chau, au lieu de Lachan ; c’est sans doute encore de lui qu’il est question dans le tome VIII, p. 435.