Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 9.djvu/553

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MADAME DE SÉVIGNÉ

A MADAME DE GRIGNAN.

[Aux Rochers, juillet[1] ]

MA chère bonne, parlons de vos accablements extrêmes, surprenants, imprévus ; car la frénésie de Monsieur de Savoie[2] contre tous ses intérêts ne peut avoir d’autre fondement que votre malheur et l’étoile de l’année 90. Ma bonne, je vous plains au delà de toute expression : ne croyez pas que je songe à me plaindre quand je jette les yeux sur vous. Hélas ! je me trouve riche, je ne suis obligée à rien ; mais vous, mon enfant, comme je vous disois une fois, toutes vos dépenses sont nécessaires, pressantes, étranglantes, et toujours sur peine de la vie ou de l’honneur. On ne sauroit imaginer un si terrible état, encore moins le soutenir ; .et quand vous me dites que votre santé est parfaite et que vous dormez, je n’en crois rien ; ce n’est pas une chose possible : vous êtes trop l’âme et l’esprit de ce grand tourbillon pour avoir un moment de repos, et je ne crois pas que tout éloignée et tout inutile que je suis, je pusse[3] en avoir beaucoup, si je ne faisois ma consolation de ce qui fait la vôtre, et que je ne visse Monsieur le chevalier et M. de la Garde partager vos peines, et vous aider à les soutenir. C’est une douceur que la Providence vous donne pour diminuer l’excès des amertumes de votre vie ;car quoique la




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  1. LETTRE 1288 (revue sur une ancienne copie). -- 1. Ce fragment est sans date dans le manuscrit. On l’a placé, dans la première édition (1827), au vendredi 14 juillet.
  2. 2. La rupture entre Victor- Amedée, duc de Savoie, et Louis XIV avait éclaté le 4 juin ; la Gazette du 8 juillet annonce, en date de Pignerol, le 26 juin, que « le duc de Savoie a résolu de se mettre à la tête de son armée. » L’armée française était commandée par Catinat.
  3. 3. Le copiste a écrit ici par erreur pense, au lieu de pusse ; et à la page suivante, ligne 17, regré (sic), au lieu de gré.