Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 9.djvu/571

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malgré ces apparences je ne vous oublie pas ! Non, certainement, Monsieur, je ne vous oublie pas ; on ne peut en être plus éloigné, ni vous honorer, et si j’ose dire, vous aimer d’une manière plus digne de vous ; car il y a une certaine sorte d’attachement pour votre personne qui n’est fait que pour ceux qui en connoissent tout le mérite ; je prétends être de ce nombre, et en même temps je me donne une grande louange. Vous me la pardonnerez, Monsieur, aussi bien que la faute que je suis sur le point de faire, qui est d’oublier de prendre part à la joie que vous donne la victoire que Monsieur de Carcassonne vient de remporter sur l’infatigable M. d’Aiguebonne[1]. N’étoit-ce pas votre affaire ? N’étoit-ce pas sous vos étendards et par vos ordres que ce prélat combattoit ? N’est-ce pas vous qui avez inspiré à M. Talon ce grand amour de la justice, au préjudice de tous les droits de l’amitié de Mme de Bury [2] ? Cette amende payée au Roi et à M. de Grignan[3] n’est-ce pas le plus grand plaisir de la victoire ? a N’est-ce pas prendre le canon et le bagage, mettre les ennemis en fuite pour jamais, et coucher sur le champ de bataille ? Voilà, Monsieur, l’idée que. j’ai de votre triomphe. Jugez si dans mon cœur je n’en chante pas un Te Deum, et si je ne vous en donne pas toutes les louanges qui vous sont dues. J’y joins, Monsieur, mes très-humbles remerciements et mille compliments, si vous le trouvez bon, pour Madame votre femme.

La marquise DE Sévigné.

  1. 2. Voyez la Notice, p. 274 et 27S.
  2. 3. Voyez ci-dessus, p. III, la lettre du 10 juillet 1689.
  3. 4. Les ordonnances donnent le nom d’amende à la somme à laquelle la partie qui succombe en requête civile est condamnée envers l’autre; dans notre nouveau droit cette condamnation prend le nom de dommages-intérêts, ce qui est plus exact. (Note de l’édition de 1818.)