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1298. DE MADAME DE SÉVIGNÉ ET DE CHARLES DE SÉVIGNÉ A MADAME DE GRIGNAN.
Aux Rochers, dimanche 27è août.
DE MADAME DE SÉVIGNÉ.
Vous avez gagné votre procès, mais gagné tout d’une voix, avec tout l’agrément imaginable : M. Talon ayant conclu pour vous avec beaucoup de droiture et d’honnêteté, disant que la cour devoit avoir pitié de M. d’Aiguebonne, qui étoit un très-bon gentilhomme qu’il falloit tirer des mains de ses gens d’affaires, qu’il y avoit de la justice et de la conscience, et que, par cette raison, il le déboutoit de sa requête civile. Enfin on ne peut pas rompre le cou[1]1 à un homme plus agréablement. Corbinèlli me le mande fort plaisamment : je crois qu’il étoit à l’audience. M. Croiset[2] le surpassa en éloquence[3] en donnant votre arrêt, et il passa tout d’une voix; et [M. d’Aiguebonne est 4[4] ] condamné à payer l’amende.. Savez-vous bien ce qUe c’est que de payer l’amende? C’est Un affront, c’est une manière d’amende honorable; il n’y a au delà que le fouet et la fleur de lis[5]- Oui, il payera
- ↑ LETTRE 1298 (revue sur une ancienne copie). ̃-- 1. Terme de conclave voyez les Mémoires de Coulanges, p. 112.
- ↑ 2. Président en la quatrième chambre des enquêtes voyez tome VIII, p. 291, seconde partie de la note 10.
- ↑ 3. « Le surpassa, » c’est-à-dire surpassa M. Talon. Dans la première édition (1837) on a changé « le surpassa, » en « se surpassa. »
- ↑ 4. Nous ajoutons par conjecture ces mots qui sont entre crochets. Le manuscrit donne simplement « et condamné »
- ↑ 5. «Fleur de lis » , dit le Dictionnaire de Trévoux, est un supplice qu’on fait souffrir aux larrons de ville et aux coupeurs de bourse lilio ferreo ardenti notare. On les condamne à être flétris d’une fleur de lis qui s’applique sur l’épaule avec un fer rouge marqué d’une fleur de lis.»