Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/109

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qu’il m’a envoyée avec un billet fort joli. Votre frère entre sous les lois de Ninon[1], je doute qu’elles lui soient bonnes ; il y a des esprits à qui elles ne valent rien ; elle avait gâté son père ; il faut le recommander à Dieu : quand on est chrétienne, ou du moins quand on le veut être, on ne peut voir les dérèglements sans chagrin. Ah ! Bourdaloue ! quelles divines vérités vous nous avez dites aujourd’hui sur la mort ! madame de la Fayette y était pour la première fois de sa vie, elle était transportée d’admiration ; elle est ravie de votre souvenir et vous embrasse de tout son cœur. Je lui ai donné une belle copie de votre portrait ; il pare sa chambre, où vous n’êtes jamais oubliée. Si vous êtes encore de l’humeur dont vous étiez à Sainte-Marie, et que vous gardiez mes lettres, voyez si vous n’avez pas reçu celle du 18 février. Adieu, ma très-aimable enfant ; vous dirai-je que je vous aime ? c’est se moquer d’en être encore là ; cependant, comme je suis ravie quand vous m’assurez de votre tendresse, je vous assure de la mienne, afin de vous donner de la joie, si vous êtes de mon humeur : et ce Grignan mérite-t-il que je lui dise un mot ?

Je crois que M. d’Hacqueville vous mande toutes les nouvelles : pour moi je n’en sais point, je serais toute propre à vous dire que le chancelier[2] a pris un lavement.

Je vis une chose hier chez Mademoiselle, qui me fit plaisir. Madame de Gêvres[3] arrive, belle, charmante et de bonne grâce ; madame d’Arpajon était au-dessus de moi ; je pense que la duchesse s’attendait que je lui dusse offrir ma place ; ma foi, je lui devais une incivilité de l’autre jour, je la lui payai comptant, et ne branlai pas. Mademoiselle était au lit, madame de Gêvres a donc été contrainte de se mettre au-dessous de l’estrade ; cela est fâcheux. On apporte à boire à Mademoiselle, il faut donner la serviette ; je vois madame de Gêvres qui dégante sa main maigre ; je pousse madame d’Arpajon ; elle m’entend, et se dégante ; et, d’une très-bonne grâce, avance un pas, coupe la duchesse, et prend et donne la serviette. La duchesse de Gêvres en a eu toute la honte ; elle était montée sur l’estrade et elle avait ôté ses gants, et tout cela, pour voir donner la serviette de plus près par madame d’Arpajon.

  1. Mademoiselle de Lenclos.
  2. Le chancelier Séguier n’allait jamais au conseil sans avoir pris cette precaution.
  3. Première femme de Léon Potier de Gêvres, duc de Tresmes.