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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/168

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les soirs une ronde pour éviter les accidents du feu. Si le hasard n’avait fait lever M. de Grignan plus matin que le jour, voyez un peu où vous en étiez, et ce que vous deveniez avec votre château ! Je crois que vous n’avez pas oublié de remercier Dieu : pour moi, j’y ai trop d’intérêt pour ne l’avoir pas fait.

M. de Lavardin fait ici l’amoureux d’une petite madame ; j' ai trouvé que c’est une contenance dont il a besoin comme d’un éventail. J’ai dit à madame de Chaulnes les compliments que vous lui faites ; elle les a reçus d’une manière, et vous en rend de si bons, que je suis persuadée qu’elle voudrait, au prix des Molac et des Lavardin[1], que vous fussiez sa lieutenante générale : il n’y a que ces charges de belles ; les lieutenants de roi ne sont pas dignes de porter votre robe. Je suis encore ici ; M. et madame de Chaulnes font de leur mieux pour m’y retenir : ce sont sans cesse des distinctions peut-être peu sensibles pour nous, mais qui me font admirer la bonté des dames de ce pays-ci. Vous croyez bien aussi que sans cela je ne demeurerais pas à Vitré, où je n’ai que faire. Les comédiens nous ont amusés, les passe-pieds nous ont divertis, la promenade nous a tenu lieu des Rochers. Nous fîmes hier de grandes dévotions, et demain je m’en vais aux Rochers, où je serai ravie de ne plus voir de festins, et d’être un peu à tnoi : je meurs de faim au milieu de toutes ces viandes, et je proposais l’autre jour à Pomenars d’envoyer accommoder un gigot de mouton à la tour de Sévigné pour minuit, en revenant de chez madame de Chaulnes : enfin, soit besoin ou dégoût, je meurs d’envie d’être dans mon mail ; j’y serai huit ou dix jours. Notre abbé, la Mousse et Marphise ont grand besoin de ma présence ; ces deux premiers viennent pourtant dîner ici quelquefois ; il y est très-souvent question de madame la gouvernante de Provence, c’est ainsi que M. de Chaulnes vous nomme en commençant votre santé. On contait hier au soir à table qu’Arlequin, l’autre jour à Paris, portait une grosse pierre sous son petit manteau ; on lui demandait ce qu’il voulait faire de cette pierre ; il dit que c’était un échantillon d’une maison qu’il voulait vendre ; cela me fit rire ; je jurai que je vous le manderais : si vous croyez, ma fille, que cette invention fût bonne pour vendre votre terre, vous pourriez vous en servir.

Madame de la Fayette m’a mandé qu’elle allait vous écrire, mais que la migraine l’en empêche ; elle est fort à plaindre de ce

  1. Lieutenants généraux de la province de Bretagne.