mal : je ne sais s’il ne vaudrait pas mieux n’avoir pas autant d’esprit que Pascal[1], que d’en avoir les incommodités. La date de votre lettre est admirable : voilà qui est donc bien, je n’ai que vingt ans ; puisqu’il est ainsi, vous n’avez pas sujet de craindre pour ma santé ; n’en soyez point en peine, songez seulement à la vôtre. Cette émotion que la crainte du feu vous a donnée, me déplaît beaucoup : ce fut ensuite d’une émotion qu’arriva votre accouchement de Livry : tâchez donc, ma chère enfant, d’éviter autant que vous pourrez tout ce qui peut vous émouvoir. J’aime déjà ce chamarier [2] de Rochebonne ; c’est une bonne roche que celle dont vous me dépeignez son âme : c’est à M. de Grignan que j’adresse cette gentillesse ; comme à celui qui m’y saura bien répondre. Je suis bien aise d’avoir encore une maison assurée à Lyon, outre celle de l’intendant.
Autant qu’un voyage en ce monde peut être sûr, celui de Provence l’est pour l’année qui vient. Ma chère enfant, gouvernezvous bien entre ci et là, c’est mon unique soin, et la chose du monde dont je vous serai le plus sensiblement obligée ; c’est là que vous pouvez me témoigner solidement l’amitié que vous avez pour moi. Il me semble que vous voyez bien des Provençaux à Grignan : si vous saviez aussi la quantité de Bretons que l’on voit tous les jours ici ! cela n’est pas imaginable. Vous me ravissez quand vous me dites que vous aimez le coadjuteur, et qu’il vous aime : j’ai cette union dans la tête ; il me semble qu’elle est entièrement nécessaire à votre bonheur ; conservez-la, et prenez de ses conseils pour vos affaires. Notre abbé vous adore toujours ; la petite Mousse a une dent de moins, et ma petite enfant une dent de plus : ainsi va le monde. Je bénis Flachère de vous avoir sauvée du feu, et je vous embrasse mille fois plus tendrement que je ne puis vous dire. Chésières est guéri au bruit du trictrac de chez M. d’Harouïs.
66. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.
Je suis méchante aujourd’hui, ma fille ; je suis comme quand vous disiez, Fous êtes méchante. Je suis triste, je n’ai point de vos nouvelles ; la grande amitié n’est jamais tranquille. Maxime.