Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/17

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ferai bien ressouvenir ! si vous me fâchez, je vous réduirai au lambel [1]. Vous savez que je suis sur la fin d’une* grossesse, et je ne trouve en vous non plus d’inquiétude de ma santé que si j’étais encore fille. Eh bien, je vous apprends, quand vous en devriez enrager, que je suis accouchée d’un garçon» à qui je. vais faire sucer la haine contre vous avec le lait ; et que j’en ferai encore bien d’autres, seulement pour vous faire des ennemis. Vous n’avez pas eu l’esprit d’en faire autant : le beau faiseur de filles ! etc. » Sans doute les années donneront plus d’étendue et de force à l’esprit de madame de Sévigné, plus de souplesse à son talent : mais on voit que dès cette époque elle écrivait avec une vivacité et une grâce peu communes ; et il est étrange que l’abbé de Vauxcelles ait pu dire qu’elle était loin d’écrire dans sa jeunesse aussi bien qu’elle le fit dans la suite.

Elle avait eu de son mari un fils et une fille. Elle renonça au monde tant que dura leur enfance, et se réduisit au commerce de quelques amis. Elle remplit tous ses devoirs de mère avec une tendre sollicitude, qu’éclairait un jugement excellent. Afin d’être tout entière à ses enfants, elle ne voulut point, si jeune qu’elle fût encore, profiter des occasions qui s’offrirent plusieurs fois pour elle de se remarier. Ceux qui eussent voulu se faire agréer d’elle comme amants furent éconduits, aussi bien que les prétendants au titre d’époux. Parmi les premiers, on vit figurer de fort illustres personnages. Turenne se montra quelque temps fort épris de la séduisante veuve : le prince de Conti et le surintendant Fouquet ne négligèrent rien pour toucher son cœur. Bussy écrivait à sa cousine eu 1654 : « Tenez- vous bien, ma belle cousine ! telle dame qui n’est pas intéressée est quelquefois ambitieuse ; et qui peut résister aux finances du roi, ne résiste pas toujours aux cousins de Sa Majesté. De la manière dont le prince m’a parlé de son dessein, je vois bien que je suis désigné confident. Je crois que vous ne vous y opposerez pas, sachant, comme vous faites, avec quelle capacité

je me suis acquitté de cette charge en d’autres rencontres. Ce

qui m’inquiète, c’est que vous serez un peu embarrassée entre ces deux rivaux ; et il me semble déjà vous entendre dire :

<poem> Des deux côtés j’ai beaucoup de chagrin ; O Dieu, l’étrange peine ! <poem>

  1. Le lambel est un filet accompagné de plusieurs pendants, qui se met en forme de brisure dans les armoiries, pour distinguer les branches cadettes de la