Aller au contenu

Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mières jusque dans la rue Saint- Antoine ; on s’y tue. Le vieux Mérinville[1] est mort sans y être allé.

Ne vous trompez-vous point, ma chère fille, dans l’opinion que vous avez de mes lettres ? L’autre jour un pendard d’homme, voyant ma lettre infinie, me demanda si je pensais qu’on pût lire cela : j’en tremblai, sans dessein toutefois de me corriger ; et, me tenant à ce que vous m’en dites, je ne vous épargnerai aucune bagatelle, grande ou petite, qui vous puisse divertir ; pour moi, c’est ma vie et mon unique plaisir que le commerce que j’ai avec vous ; toutes choses sont ensuite bien loin après. Je suis en peine de votre petit frère : il a bien froid, il campe, il marche vers Cologne pour un temps infini : j’espérais de le voir cet hiver, et le voilà. Enfin il se trouve que mademoiselle d’Adhémar est la consolation de ma vieillesse : je voudrais aussi que vous vissiez comme elle m’aime, comme elle m’appelle, comme elle m’embrasse ; elle n’est point belle, mais elle est aimable ; elle a un son de voix charmant ; elle est blanche, elle est nette ; enfin je l’aime. Vous me paraissez folle de votre fils ; j’en suis fort aise ; on ne saurait avoir trop de fantaisies, musquées ou point musquées, il n’importe.

Il y a demain un bal chez Madame ; j’ai vu chez Mademoiselle l’agitation des pierreries : cela m’a fait souvenir de nos tribulations passées, et plût à Dieu y être encore ! Pouvais-je être malheureuse avec vous ? Toute ma vie est pleine de repentir : M. Nicole, ayez pitié de moi, et me faites bien envisager les ordres de la Providence. Adieu, ma chère fille ; je n’oserais dire que je vous adore, mais je ne puis concevoir qu’il y ait un degré d’amitié au delà de la mienne ; vous m’adoucissez et m’augmentez mes ennuis, par les aimables et douces assurances de la vôtre.


85. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, Vendredi 22 janvier 1672,

à dix heures du soir.

Enfin, ma fille, c’est tout ce que je puis faire que de quitter le petit coucher de mademoiselle d’Adhémar pour vous écrire. Si vous ne voulez pas être jalouse, je ne sais que vous dire : c’est la plus aimable enfant que j’aie jamais vue : elle est vive, elle est gaie, elle a de petits desseins et de petites façons qui plaisent tout

  1. François Desmontiers, comte de Mérinville, qui avait été lieutenant général du gouvernement de Provence.