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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/215

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des anciennes Molière lui lira samedi Trissotin, qui est une fort plaisante chose. Despréaux lui donnera son Lutrin et sa Poétique : voilà tout ce qu’on peut faire pou» son service. Il vous aime de tout son cœur, ce pauvre cardinal ; il parle souvent de vous, et vos louanges ne finissent pas si aisément qu’elles commencent. Mais, hélas ! quand nous songeons qu’on nous a enlevé notre chère enfant, rien n’est capable de nous consoler : pour moi, je serais très-fâchée d’être consolée ; je ne me pique ni de fermeté, ni de philosophie ; mon cœur me mène et me conduit. On disait l’autre jour (je crois vous l’avoir mandé) que la vraie mesure du mérite du cœur, c’était la capacité d’aimer : je me trouve d’une grandeélévation par cette règle ; elle me donnerait trop de vanité, si je n’avais mille autres sujets de me remettre à ma place.

Adhémar m’aime assez, mais il hait trop l’évêque, et vous le haïssez trop aussi : l’oisiveté vous jette dans cet amusement ; vous n’auriez pas tant de loisir, si vous étiez ici. M. d’Uzès m’a fait voir un mémoire qu’il a tiré et corrigé du vôtre, dont il fera des merveilles ; fiez-vous-en à lui ; vous n’avez qu’à lui envoyer tout ce que vous voudrez, sans craindre que rien ne sorte de ses mains, que dans le juste point de la perfection. Il y a, dans tout ce qui vient de vous autres, un petit brin d’impétuosité, qui est la vraie marque de l’ouvrier : c’est le chien du Bassan[1]. On vous mandera le dénoûment que M. d’Uzès fera à toute cette comédie ; j’irai me faire nommer à la porte de l’évêque, dont je vois tous les jours le nom à la mienne. ÎSe craignez pas, pour cela, que nous trahissions vos intérêts. Il y a plusieurs prélats qui se tourmentent de cette paix ; elle ne sera faite qu’à de bonnes enseignes. Si vous voulez faire plaisir à l’évêque, perdez bien de l’argent, mettez-vous dans une grande presse ; c’est là qu’il vous attend.

Voici une nouvelle ; écoutez-moi : le roi a fait entendre à messieurs de Charost qu’il voulait leur donner des lettres de duc et pair, c’est-à-dire qu’ils auront tous deux, dès à présent, les honneurs du Louvre, et une assurance d’être passés au parlement la première fois qu’on en passera. On donne au fils la lieuteuance générale de la Picardie, qui n’avait pas été remplie depuis très-longtemps, avec vingt mille francs d’appointement, et deux cent mille francs de M. de Duras, pour la charge de capitaine des gardes du

  1. Le Bassan faisait figurer son chien dans la composition de presque tous ses tableaux.