Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/25

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demoiselle du Plessis et mademoiselle de Launay, qu’au milieu de tout ce qu’il y a de beau et de bon. Ce que je dis pour moi, ma belle, vraiment je le dis pour vous. Ne croyez pas que si M. de Grignan et vous étiez placés comme vous le méritez, vous ne vous accommodassiez pas fort bien de cette vie ; mais la Providence ne veut pas que vous ayez d’autres grandeurs que celles que vous avez. Pour moi, j’ai vu des moments où il ne s’en fallait rien que la fortune ne me mît dans la plus agréable situation du monde ; et puis tout d’un coup c’étaient des prisons et des exils. »

Elle veut sans doute parler ici de la mort de Turenne, de l’emprisonnement du cardinal de Retz, de Fouquet, de Bussy, et de l’exil de M. et de Mme . de Pomponne. Dans la société d’élite où elle vécut toujours, elle trouva beaucoup d’amis, et même (ce qui fait plus que toute autre chose l’éloge de son caractère) beaucoup d’amis dévoués. Mais elle en eut peu qui fussent en possession d’un grand crédit. Ceux qu’on vient de nommer, et sur la fortune desquels elle avait fondé de légitimes espérances, disparurent de la scène brusquement, et n’eurent pas le temps de faire agir leur bonne volonté pour elle. Du reste, il ne faut pas croire qu’elle ne sut pas supporter ces mécomptes : elle était trop sage pour n’être pas capable de se résigner. À la suite du passage qui vient d’être cité, elle ajoute : « Trouvez-vous que ma fortune ait été fort heureuse ? Je ne laisse pas d’en être contente ; et si j’ai des moments de murmure, ce n’est point par rapport à moi. » Ce langage était sincère. Sa résignation ne ressemblait point à celle de sou cousin : ce n’était point ce masque de tranquillité et de philosophie que l’orgueilleux Bussy prend dans toutes ses lettres, et au travers duquel on voit à plein son dépit d’être annulé par la disgrâce, et sa colère contre le prince qu’il flatte encore du fond de son exil.

Dans les longs intervalles qui s’écoulèrent entre les visites de sa fille ou ses propres voyages en Provence, madame de Sévigné ne vécut point toujours à Paris. Il lui fallait de temps en temps aller passer une saison dans sa terre des Rochers, pour demander des comptes à ses fermiers, ou pour réparer par les économies d’un séjour en Bretagne les dépenses qu’en bonne mère elle s’était imposées pour le prodigue marquis. Alors, du milieu de cette vie de conversations délicates et de fêtes brillantes qu’elle menait à Paris, elle se trouvait tout à coup transportée dans la solitude d’un antique manoir, à peine troublée par les visites de quelques provinciaux