Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/288

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n’avoir point le bâton. Devinez ce que fait Coulanges ; il copie mot à mot, et sans s’ incommoder, toutes les nouvelles que je vous écris. Je vous ai mandé comme le grand maître[1] est duc ; il n’ose se plaindre ; il sera maréchal de France à la première voiture ; et la manière dont le roi lui a parlé passe de bien loin l’honneur qu’il a reçu. Sa Majesté lui dit de donner à Pomponne son nom et ses qualités ; il répondit : Sire, je lui donnerai le brevet de mon grand-père : il n’aura qu’à le faire copier. Il faut lui faire un compliment. M. de Grignan en a beaucoup à faire, et peut-être des ennemis ; car ils prétendent du monseigneur, et c’est une injustice qu’on ne peut leur faire comprendre.

Je reviens à M. de Turenne, qui, en disant adieu à M. le cardinal de Retz, lui dit : « Monsieur, je ne suis point un diseur ; mais je vous prie de croire sérieusement que, sans ces affaires-ci, où peut-être on a besoin de moi, je me retirerais comme vous ; et je vous donne ma parole que, si j’en reviens, je ne mourrai pas sur le coffre, et je mettrai, à votre exemple, quelque temps entre la vie et la mort. » Je tiens cela de d’Hacqueville, qui ne l’a dit que depuis deux jours. Notre cardinal sera sensiblement touché de cette perte. Il me semble, ma fille, que vous ne vous lassez point d’en entendre parler : nous sommes convenus qu’il y a des choses dont on ne peut trop savoir de détails. J’embrasse M. de Grignan : je vous souhaiterais quelqu’un à tous deux avec qui vous puissiez parler de M. de Turenne : les Villars vous adorent ; Villars est revenu ; mais Saint-Géran et sa tête sont demeurés : sa femme espérait qu’on aurait quelque pitié de lui, et qu’on le ramènerait. Je crois que la Garde vous mande le dessein qu’il a de vous aller voir : j’ai bien envie de lui dire adieu pour ce voyage ; le mien, comme vous savez, est un peu différé : il faut voir l’effet que fera dans notre pays la marche de six mille hommes commandés par deux Provençaux. Il est bien dur à M. de Lavardin d’avoir acheté une charge quatre cent mille francs, pour obéir à M. de Forbin ; car encore M. de Chaulnes conserve l’ombre du commandement. Madame de Lavardin et M. d’Harouïs sont mes boussoles : ne soyez point en peine de moi, ma très-chère, ni de ma santé ; je me purgerai après le plein de la lune, et quand on aura des nouvelles d’Allemagne. Adieu, ma chère enfant ; je vous aime si passionnément, que je ne pense pas qu’on puisse aller plus

  1. Le comte du Lude.