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loin ; si quelqu’un souhaitait mon amitié, il devrait être content que. je l’aimasse seulement autant que j’aime votre portrait.


132. — DE Mme  DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY.

À Paris, le 6 août 1675.

Je ne vous parle plus du départ de ma fille, quoique j’y pense toujours, et que je ne puisse jamais bien m’ accoutumer à vivre sans elle : mais ce chagrin ne doit être que pour moi. Vous me demandez où je suis, comment je me porte, et à quoi je m’amuse. Je suis-à Paris, je me porte bien, et je m’amuse à des bagatelles. Mais ce style est un peu laconique, je veux l’étendre. Je serais en Bretagne, où j’ai mille affaires, sans les mouvements de cette province, qui la rendent peu sûre. Il y va six mille hommes commandés par M. de Forbin. La question est de savoir l’effet de cette punition. Je l’attends ; et si le repentir prend à ces mutins, et qu’ils rentrent dans leur devoir, je reprendrai le fil de mon voyage, et j’y passerai une partie de l’hiver.

J’ai bien eu des vapeurs ; et cette belle santé, que vous avez vue si triomphante, a reçu quelques attaques dont je me suis trouvée humiliée, comme si j’avais reçu un affront.

Pour ma vie, vous la connaissez aussi. On la passe avec cinq ou six amies dont la société plaît, et à mille devoirs à quoi on est obligée, et ce n’est pas une petite affaire. Mais ce qui me fâche, c’est qu’en ne faisant rien les jours se passent, et l’on vieillit, et l’on meurt. Je trouve cela bien mauvais. La vie est trop courte : à peine avons-nous passé la jeunesse, que nous nous trouvons dans la vieillesse. Je voudrais qu’on eût cent ans d’assurés, et le reste dans l’incertitude. Ne le voulez-vous pas aussi, mon cousin ? Mais comment pourrions-nous faire ? Ma nièce sera de mon avis, selon le bonheur ou le malheur qu’elle trouvera dans son mariage : elle nous en dira des nouvelles, où elle ne nous en dira pas. Quoi qu’il en soit, je sais bien qu’il n’y a point de douceur, de commodité, ni d’agrément, que je ne lui souhaite dans ce changement de condition. J’en parle quelquefois avec ma nièce la religieuse ; je la trouve très-agréable, et d’une sorte d’esprit qui fait fort bien souvenir de vous. Selon moi, je ne puis la louer davantage.

Au reste, vous êtes un très-bon almanach : vous avez prévu en homme du métier tout ce qui est arrivé du côté de l’Allemagne ; mais vous n’avez pas vu la mort de M. de ïurenne, ni ce coup de

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