Aller au contenu

Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/291

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dom et M. d’Agen me dirent la même chose à Versailles : je suis persuadée qu’il fera aussi bien à sa harangue au roi : ainsi il faudra toujours le louer.

Voilà donc nos pauvres amis qui ont repassé le Rhin fort heureusement, fort à loisir, et après avoir battu les ennemis; c’est une gloire bien complète pour M. de Lorges. Nous avions tous bien envie que le roi lui envoyât le bâton après une si belle action , et si utile, dont il a seul tout l’honneur. Il a eu un cheval tué sous lui d’un coup de canon , qui lui passa entre les jambes : il était à cheval sur un coup de canon : la Providence avait bien donné sa commission à celui-là , aussi bien qu’aux autres, Nous avons perdu Vaubrun dans cette action, et peut-être M. de Montlaur, frère du prince d’Harcourt, votre cousin germain. La perte des ennemis a été grande ; ils ont eu , de leur aveu , quatre mille hommes de tués ; nous n’en avons perdu que sept ou huit cents. Le duc de Sault et le chevalier de Grignan se sont distingués à la tête de leur cavalerie : les Anglais surtout ont fait des choses romanesques : enfin voilà un grand bonheur. On dit que Montecuculli 1 , après avoir envoyé témoigner à M. de Lorges la douleur qu’il avait de la perte d’un si grand capitaine, lui manda qu’il lui laisserait repasser le Rhin, et qu’il ne voulait point exposer sa réputation à la rage d’une armée furieuse, et à la valeur des jeunes Français, à qui rien ne peut résister dans leur première impétuosité. En effet , le combat n’a point été général, et les troupes qui nous ont attaqués ont été défaites. Plusieurs courtisans, que je n’ose nommer par prudence, se sont signalés pour parler au roi de M. de Lorges, et des raisons sans conséquence qui devaient le faire maréchal de France tout à l’heure; mais elles ont été inutiles. Il a seulement le commandement d’Alsace, et vingt-cinq mille livres de pension qu’avait Vaubrun. Ha! ce n’était point cela qu’il voulait. M. le comte d’Auvergne 2 a la charge de colonel général de la cavalerie , et le gouvernement du Limousin. Le cardinal de Bouillon est très-affligé.

Notre bon cardinal a encore écrit au pape, disant qu’il ne peut s’empêcher d’espérer que quand Sa Sainteté aura vu les raisons qui sont dans sa lettre, elle se rendra à ses très-humbles prières : mais nous croyons que le pape infaillible , et qui ne fait rien d’inutile , ne lira seulement pas ses lettres , ayant fait sa réponse par avance, comme notre petit ami que vous connaissez.

1 Généralissime des armées de l’empereur.

2 Neveu de Turenne.