Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/34

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que le style épistolaire de Cicéron et celui de Pline, que le style de madame de Sévigné et celui de M. de Voltaire. Lequel faut-il imiter ? Ni l’un ni l’autre, si l’on veut être quelque chose ; car on n’a véritablement un style que lorsqu’on a celui de son caractère propre et de la tournure naturelle de son esprit, modifié par le sentiment qu’on éprouve en écrivant.

Les lettres n’ont pour objet que de communiquer ses pensées et ses sentiments à des personnes absentes : elles sont dictées par l’amitié, la confiance, la politesse. C’est une conversation par écrit : aussi le ton des lettres ne doit différer de celui de la conversation ordinaire que par un peu plus de choix dans les objets et de correction dans le style. La rapidité de la parole fait passer une infinité de négligences que l’esprit a le temps de rejeter lorsqu’on écrit, même avec rapidité ; et d’ailleurs l’homme qui lit n’est pas aussi indulgent que celui qui écoute.

Le naturel et l’aisance forment donc le caractère essentiel du style épistolaire ; la recherche d’esprit, d’élégance ou de correction y est insupportable.

La philosophie, la politique, les arts, les anecdotes et les bons mots, tout peut entrer dans les lettres, mais avec l’air d’abandon, d’aisance et de premier mouvement, qui caractérise la conversation des gens d’esprit.

Quel est celui qui écrit le mieux ? Celui qui a plus de mobilité dans l’imagination, plus de prestesse, de gaieté et d’originalité dans l’esprit, plus de facilité et de goût dans la manière de s’exprimer.

Mais pourquoi l’homme le plus spirituel, le plus animé et le plus gai dans la conversation est-il souvent froid, sec et commun dans ses lettres ? C’est qu’il y a des hommes que la société excite, et d’autres qu’elle déconcerte. Le mouvement de la société est une espèce d’ivresse qui donne à l’esprit des uns plus de ressort et d’activité, qui trouble et engourdit l’esprit des autres. Les premiers restent froids lorsqu’ils sont dans leur cabinet, la plume à la main ; ceux-ci y retrouvent l’exercice plus libre de toutes leurs facultés.