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DU STYLE ÉPISTOLAIRE

DE MADAME DE SÉVIGNÉ,

PAR M. SUARD,

SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

Qu’est-ce qui caractérise essentiellement le style épistolaire ? Il est embarrassant de répondre à cette question. Le style épistolaire est celui qui convient à la personne qui écrit et aux choses qu’elle écrit. Le cardinal d’Ossat ne peut pas écrire comme Ninon ; et Cicéron n’écrit pas sur le meurtre de César du même ton dont il raconte le souper qu’il a donné en impromptu à César. On pourrait appliquer le même principe au style de l’histoire, de la fable, etc. Le style de Tacite n’a rien de commun avec celui de Tite-Live, ni le style de la Fontaine avec celui de Phèdre.

À quoi servent ces distinctions de genres et de tons qu’on est parvenu à introduire dans la littérature ! On veut tout réduire en classes et en genres ; on prend pour le terme de la perfection dans chaque genre le point où s’est arrêté l’écrivain qui a été le plus loin, et l’on semble prescrire pour modèle la manière qu’il a prise. Cet esprit critique, qui distingue particulièrement notre nation, a servi, il est vrai, à répandre un goût plus sain et plus agréable, mais a contribué en même temps à gêner l’essor des talents et à rétrécir la carrière des arts. Heureusement, le génie ne se laisse pas garrotter par ces petites règles que la pédanterie, la médiocrité, la fureur de juger, ont inventées et s’efforcent de maintenir. L’homme de génie est comme Gulliver au milieu des Lilliputiens qui l’enchaînent pendant son sommeil : en se réveillant, il brise sans effort ces liens fragiles que les nains prenaient pour des câbles.

Revenons au style épistolaire. Rien ne se ressemble moins