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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/342

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l’antimoine à ma mère ? il ne faut seulement que du régime, et prendre un petit bouillon de séné tous les mois : voilà ce que vous disiez. Adieu, ma petite sœur : je suis en colère quand je songe que nous aurions pu éviter cette maladie avec ce remède, qui nous rend si vite la santé, quelque chose que l’impatience de ma mère lui fasse dire. Elle s’écrie : O mes enfants, que vous êtes fous de croire qu’une maladie se puisse déranger ! Ne faut-il pas que la Providence de Dieu ait son cours ? et pouvons-nous faire autre chose que de lui obéir ? Voilà qui est fort chrétien ; mais prenons toujours, à bon compte, de la poudre de M. de Lorme.


155. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 22 mars 1676.

Je me porte très-bien ; mais pour mes mains, il n’y a ni rime ni raison : je me sers donc de la petite personne pour la dernière fois : c’est la plus aimable enfant du monde ; je ne sais ce que j’aurais fait sans elle : elle me lit-trèsbien ce que je veux ; elle écrit comme vous voyez ; elle m’aime ; elle est complaisante ; elle sait me parler de madame de Grignan ; enfin, je vous prie de l’aimer sur ma parole.

La petite personne.

Je serais trop heureuse, madame, si cela était : je crois que vous enviez bien le bonheur que j’ai d’être auprès de madame votre mère. Elle a voulu que j’aie écrit tout le bien de moi que vous voyez ; j’en suis assez honteuse, et très-affligée en même temps de son départ.

Madame de Sêvigné continue.

La petite fille a voulu discourir, et je reviens à vous, ma chère enfant, pour vous dire que, hormis mes mains dont je n’espère la guérison que quand il fera chaud, vous ne devez pas perdre encore l’idée que vous avez de moi : mon visage n’est point changé ; mon esprit et mon humeur ne le sont guère ; je suis maigre, et j’en suis bien aise ; je marche, et je prends l’air avec plaisir ; et si l’on me veille encore, c’est parce que je ne puis me tourner toute seule dans mon lit ; mais je ne laisse pas de dormir. Je vous avoue bien que c’est une incommodité, et je la sens un peu. Mais enfin, ma fille, il faut souffrir ce qu’il plaît à Dieu, et trouver encore que je suis bien heureuse d’en être sortie ; car vous savez quelle bête c’est