Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/451

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

singulière[1] : elle paraît à la tribune comme une divinité ; madame de Montespan de l’autre côté, autre divinité. La singulière a donné pour six mille pistoles d’étrennes[2]. Madame de Coulanges a été fort admirée de ce qu’elle a exécuté.


216. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 17 janvier 1680.

Le temps n’est plus, ma pauvre enfant, que ce m’était une consolation de recevoir une grande lettre de vous ; présentement ce m’est une véritable peine ; et quand je pense à celle que vous avez d’écrire, et au mal sensible que cela vous fait, je soutiens que vous ne sauriez m’écrire assez peu. Si vous êtes incommodée, il faut ne point écrire ; si vous ne l’êtes pas, il ne faut point écrire ; enfin, si vous avez quelque soin de vous et quelque amitié pour moi, il faut, par nécessité ou par précaution, garder cette conduite. Si vous êtes mal, reposez-vous ; si vous êtes-bien, conservez-vous ; et pusique cette santé si précieuse, dont on ne connaît le bonheur qu’après l’avoir perdue, vous oblige à vous ménager, croyez que ce doit être votre unique affaire, et celle dont je vous aurai le plus d’obligation. Vous me paraissez accablée de la dépense d’Aix ; c’est une chose cruelle que de gâter encore vos affaires en Provence, au lieu de les raccommoder : vous souhaitez d’être à Grignan, c’est le seul lieu, dites-vous, où vous ne dépensez rien : je comprends qu’un peu de séjour dans votre château ne vous serait pas inutile à cet égard ; mais vous n’êtes plus en état de mettre cette considération au premier rang ; votre santé doit aller la première, c’est ce qui doit vous conduire ; et quelle raison pourrait obliger ceux qui vous aiment à vous laisser dans un air qui vous fait périr visiblement ? Vous êtes si incommodée de la bise d’Aix et de Salon, que vous devez attendre à l’être encore plus de celle de Grignan. Ainsi, ma fille, il faudra prendre une résolution sage ; il faudra, quand vous serez ici, n’être plus, comme vous êtes toujours,

  1. Elle était (dit l’abbé de Choisy) belle comme un ange et sotte comme un panier.
  2. Voici un trait de la galanterie magnifique de ce temps-là. C’est madame de Scudéri qui le mande à Bussy :

    « Mademoiselle de — a reçu des étrennes bien galantes. Elle trouva sur sa toilette un petit diable qui retenait une souris d’Allemagne, qui, dès qu’elle y toucha, s’ouvrit d’elle-même, et laissa tomber deux bracelets de mille louis chacun, avec un billet où étaient écrits ces mots : Le diable s’en mêle. »