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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/477

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ses procès. Elle vint l’autre jour dîner joliment avec moi ; elle paraît fort touchée de votre amitié : vous ne sauriez nous ôter l’espérance ni l’envie de vous recevoir, chacun selon nos degrés de chaleur. Vous. êtes à Grignan, ma chère bonne, vous êtes trop près de moi, il faut que je m’éloigne.


226. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi l €f mai 1680.

Je ne sais quel temps vous avez en Provence, mais celui qu’il a fait ici depuis trois semaines est si épouvantable, que plusieurs voyages en ont été dérangés ; le mien est du nombre. Voilà un commencement de lune qui pourra nous ramener du beau temps, et me faire partir : je ne sais point encore le jour ; je ne puis vous dire la douleur que me donne ce second adieu : il me semble que je suis folle de m’ éloigner encore de vous, et de mettre une distance de cent lieues par-dessus celle qui y est déjà. Je hais bien les affaires ; je trouve qu’elles nous gourmandent beaucoup, et nous font aller et venir, et tourner à leur fantaisie. Je serai si affligée en partant, qu’il ne tiendra qu’à ceux qui me verront monter en carrosse de croire que je les regrette beaucoup ; car il me sera impossible de retenir mes larmes ; cependant il faut s’en aller pour revenir.

Mademoiselle de Méri est dans votre petite chambre ; le bruit de cette porte qui s’ouvre et qui se ferme, et la circonstance de ne vous y point trouver, m’ont fait un mal que je ne puis vous dire. Tous mes gens font de leur mieux auprès d’elle ; et si je voulais me vanter, je vous montrerais bien un billet qu’elle m’écrivit l’autre jour, tout plein de remercîments des secours que je lui donne ; mais je suis modeste, je me contenterai de le mettre dans mes archives. J’ai vu madame de Vins ; elle est abîmée dans ses procès ; nous causâmes pourtant beaucoup, nous admirâmes cet étrange mélange des biens et des maux, et l’impossibilité d’être tout à fait heureuse. Vous savez tout ce que la fortune a soufflé sur la duchesse de Fontanges ; voici ce qu’elle lui garde, une perte de sang si considérable, qu’elle est encore à Maubuisson dans son lit avec la fièvre qui s’y est mêlée, elle commence même à enfler ; son beau visage est un peu bouffi. Le prieur de Cabrières ne la quitte pas ; s’il fait cette cure, il ne sera pas mal à la cour. Voyez si l’état où elle se trouve n’est pas précisément contraire au bonheur d’une telle beauté. Voilà de quoi méditer ; mais en voici un autre sujet.