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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/489

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de ne les pas augmenter ; vous avez un si grand air que vous trompez les yeux, car votre intendant jure qu’on ne peut pas faire une meilleure chère, ni plus grande, ni plus polie. C’est une chose étrange que cinquante domestiques ; nous avons eu peine à les compter. Pour Grignan, je ne comprends jamais comment vous y pouvez souhaiter d’autre monde que votre famille. Vous savez bien que quand nous étions seules, nous étions cent dans votre château ; je trouvais que c’était assez. Il ne faut pas croire que l’excès du nombre ne vous ôte pas toute la douceur et le soulagement du bon marché et des provisions : c’est une chose que vous n’avez jamais voulu comprendre ; mais votre arithmétique, en vous faisant doubler par quatre le nombre de vos bouches, vous les fera trouver aussi chères qu’à Paris. Donnez à tout cela, ma fille, quelques moments des réflexions dont vous vous creusez la tête dans votre cabinet, je vous recommande à vous-même dans cette retraite. Vos rêveries ne sont jamais agréables, vous vous les imprimez plus fortement qu’une autre : vous savez l’effet de ces épuisements, et le besoin que vous avez d’être quelquefois spensierafa ; rien n’est si sain aux personnes délicates : vos lectures même sont trop épaisses, vous vous ennuyez des histoires et de tout ce qui n’applique point : c’est un malheur d’être si solide et d’avoir tant d’esprit ; on ne s’en porte pas mieux. Ma santé me fait honte ; il y a quelque chose de sot à se porter aussi bien que je fais : cela est encore au delà delà médiocrité de mon esprit. Je trouve quelquefois que je mériterais au moins quelque légère incommodité ; je voudrais, pour votre soulagement et pour mon honneur, avoir quelques-unes des vôtres. Quand je pense à tant de maux, je vous assure, ma chère enfant, que je suis étonnée que la bonté de mon tempérament puisse soutenir l’inquiétude que j’en ai. Je ne vous ai point assez dit comme j’aime Pauline, ni combien je la trouve jolie, aimable, vive et naturelle : ce serait grand dommage si elle se gâtait ; et je vous conseille de ne point la séparer de vous. Il me semble que le marquis ne m’aime plus.


231. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Nantes, samedi 25 mai 1680.

En attendant vos lettres, je m’en vais un peu vous entretenir. J’espère que vous aurez reçu une si grande quantité des miennes, que vous serez guérie pour jamais des inquiétudes que donnent les