Aller au contenu

Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/596

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

jamais le roi dé France ne s’est vu trois cent mille hommes sur pied ; il n’y avait que les rois de Perse : tout est nouveau, tout est miraculeux.

Je menai hier le marquis dire adieu à madame de la Fayette, et souper chez madame de Coulanges. Je le mène tantôt chez M. de Pomponne, chez madame de Vins et la marquise d’Uxelles ; demain chez madame du Pui-du-Fou et madame de Lavardin, et puis il attendra son oncle, et partira sur la fin de la semaine ; mais, ma ehère enfant, soutenez un peu votre cœur contre ce voyage, qui n’a point d’autre nom présentement. Parlons un peu de Pauline, cette petite grande fille, tout aimable, toute jolie ; je n’eusse jamais cru que son humeur eût été farouche, je la croyais tout de miel : mais, mon enfant, ne vous rebutez point ; elle a de l’esprit, elle vous aime, elle s’aime elle-même, elle veut plaire ; il ne faut que cela pour se corriger, et je vous assure que ce n’est point dans l’enfance qu’on se corrige ; c’est quand on a delà raison ; l’amour-propre, si mauvais à tant d’autres choses, est admirable à celle-là ; entreprenez donc de lui parler raison, et sans colère, sans la gronder, sans l’humilier, car cela révolte ; et je vous réponds que vous en ferez une petite merveille. Faites-vous de cet ouvrage une affaire d’honneur, et même de conscience : apprenez-lui à être habile ; c’est un grand point que d’avoir de l’esprit et du goût comme elle en a.

Est/ter n’est pas encore imprimée. J’avais bien envie de dire un mot de vous à madame de Maintenon, je l’avais tout prêt : elle fit quelques pas pour me venir dire un demi-mot ; mais comme le roi, après ce que je vous ai mandé qui s’était passé, s’en allait dans sa chambre, elle le suivait, et je n’eus que le moment de faire un geste de remerciement et de reconnaissance ; c’était un tourbillon. M. de Meaux me demanda de vos nouvelles. Je dis à M. le Prince, en courant : Ah ! que je plains ceux qui ne sont pas ici ! Il m’entendit, et tout cela était si pressé, qu’il n’y avait pas moyen de placer une pensée : vous croyez bien cependant que j’en mourais d’envie. Racine va travailler à une autre tragédie, le roi y a pris goût, on ne verra autre chose ; mais l’histoire d’Esther est unique ; ni Judith, ni Ruth, ni quelque sujet que ce puisse être, ne saurait si bien réussir.