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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/625

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les conditions de la vie assez dures. Il me semble que j’ai été traînée, malgré moi, à ce point fatal où il faut souffrir la vieillesse - y je la vois, m’y voilà, et je voudrais bien, au moins, ménager de ne pas aller plus loin, de ne point avancer dans ce chemin des infirmités, des douleurs, des pertes de mémoire, des dêfigurements qui sont près de m’outrager ; et j’entends une voix qui dit : Il faut marcher malgré vous, ou bien, si vous ne voulez pas, il faut mourir, qui est une autre extrémité à quoi la nature répugne. Voilà pourtant le sort de tout ce qui avance un peu trop ; mais un retour à la volonté de Dieu, et à cette loi universelle où nous sommes condamnés, remet la raison à sa place, et fait prendre patience : prenez-la donc aussi, ma très-chère, et que votre amitié trop tendre ne vous fasse point jeter des larmes que votre raison doit condamner.

Je n’eus pas une grande peine à refuser les offres de mes amies ; j’avais à leur répondre, Paris est en Provence, comme vous, Paris est en Bretagne : mais il est extraordinaire que vous le sentiez comme moi. Paris est donc tellement en Provence pour moi, que je ne voudrais pas être cette année autre part qu’ici. Ce mot, d’être F hiver aux Rochers, effraye : hélas ! ma fille, c’est la plus douce chose du monde ; je ris quelquefois, et je dis : C’est donc là ce qu’on appelle passer l’hiver dans des bois. Madame de Coulanges me disait l’autre jour : Quittez vos humides Rochers : je lui répondis : Humide vous-même : c’est Brevannes[1] qui est humide, mais nous sommes sur une hauteur ; c’est comme si vous disiez, Votre humide Montmartre. Ces bois sont présentement tout pénétrés du soleil, quand il en fait ; un terrain sec, et une place Madame, où le midi est à plomb ; et un bout d’une grande allée, où le couchant fait des merveilles ; et quand il pleut, une bonne chambre avec un grand feu, souvent deux tables de jeu, comme présentement ; il y a bien du monde qui ne m’incommode point, je fais mes volontés ; et quand il n’y a personne, nous sommes encore mieux, car nous lisons avec un plaisir que nous préférons à tout. Madame de Marbeuf nous est fort bonne ; elle entre dans tous nos goûts ; mais nous ne l’aurons pas toujours. Voilà une idée que j’ai voulu vous donner, afin que votre amitié soit en repos.

Vous devriez bien m’ envoyer la harangue de M. de Grignan ; puisqu’il en est content, j’en serai encore plus contente que lui.

  1. Maison de campagne de madame de Coulanges.