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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/626

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Mandez-lui comme je l’appelais à mon secours ; et dans quelle occasion. Vous m’épargnez bien dans vos lettres, je le sens ; vous passez légèrement sur les endroits difficiles, je ne laisse pas de les partager avec vous. C’est une grande consolation pour vous d’avoir M. le chevalier ; c’est le seul à qui vous puissiez parler confidemment, et le seul qui soit plus touché que vous-même de ce qui vous regarde ; il sait bien comme je suis digne de parler avec lui sur ce sujet : nous sommes si fort dans les mêmes intérêts, qu’il n’est pas possible que cela ne fasse pas une liaison toute naturelle. Je dis mille douceurs à ma chère Pauline, j’ai très-bonne opinion de sa petite vivacité et de ses révérences ; vous l’aimez, vous vous en amusez, j’en suis ravie ; elle répond fort plaisamment à vos questions. Mon Dieu ! ma fille, quand viendra le temps où je vous verrai, que je vous embrasserai de tout mon cœur, et que je verrai cette petite personne ? J’en meurs d’envie ; je vous rendrai compte du premier coup d’œil.


299. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 14 décembre 1689.

Si M. le chevalier lisait vos lettres, ma chère comtesse, il n’irait pas chercher, pour se divertir, celles qui viennent de si loin. Ce que vous me mandiez l’autre jour sur Livry, que nous prêtons à M. Sanguin, lui permettant même d’y faire une fontaine ; tout cet endroit, celui de madame de Coulanges, et dans vos amitiés même, tout est si plein de sel, que nous croyons que vous n’avez point d’autre poudre pour vos lettres. J’admire la gaieté de votre style au milieu de tantd’affaires épineuses, accablantes, étranglantes. Vraiment, c’est bien vous, ma chère enfant, qu’il faut admirer, et non pas moi ; je suis seule comme une violette, aisée à cacher ; je ne tiens aucune place, ni aucun rang sur la terre, que dans votre cœur, que j’estime plus que tout le reste, et dans celui de mes amis. Ce que je fais est la chose du monde la plus aisée. Mais vous, dans le rang que vous tenez, dans la plus brillante et la plus passante province de France, joindre l’économie à la magnificence d’un gouverneur, c’est ce qui n’est pas imaginable, et ce que je ne comprends pas aussi qui puisse durer longtemps, surtout avec la dépense de votre fils, qui augmente tous les jours. Comme ces pensées troublent souvent mon repos, je crains bien qu’étant plus près de cet abîme, vous ne soyez aussi plus livrée à ces tristes réflexions :