Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/63

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clave, et ne veut plus avoir de commerce avec le monde. Il affecte une grande réserve ; il ne parle point, mais il écoute ; et j’ai eu le plaisir, en lui disant adieu, de lui dire tout ce que je pense. Je vous manderai tout ce que j’apprendrai. Eh ! Dieu veuille que ma dernière nouvelle soit bonne ! je la désire. Je vous assure que nous sommes tous à plaindre ; j’entends vous et moi, et ceux qui en font leur affaire comme nous. Adieu, mon cher monsieur ; je suis si triste et si accablée ce soir, que je n’en puis plus.


8. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À M. DE POMPONNE.

Mardi 9 décembre 1664.

Je vous assure que ces jours sont bien longs à passer, et que l’incertitude est une épouvantable chose : c’est un mal que toute la famille du pauvre prisonnier ne connaît point. Je les ai vus, je les ai admirés. Il semble qu’ils n’aient jamais su ni lu ce qui est arrivé dans les temps passés : ce qui m’étonne encore plus, c’est que Sapho est tout de même, elle dont l’esprit et la pénétration n’ont point de bornes. Quand je médite là-dessus, je me flatte, et je suis persuadée, ou du moins je me veux persuader, qu’elles en savent plus que moi. D’un autre côté, quand je raisonne avec d’autres gens moins prévenus, et dont le sens est admirable, je trouve nos mesures si justes, que ce sera un vrai miracle si la chose ne va pas comme nous la souhaitons. On ne perd souvent que d’une voix, et cette voix fait tout. Je me souviens de ces récusations, dont ces pauvres femmes pensaient être assurées ; il est vrai que nous les perdîmes de cinq à dix-sept : depuis cela, leur assurance m’a donné de la défiance. Cependant au fond de mon cœur j’ai un petit brin d’es*pérance. Je ne sais d’où il vient, ni où il va, et même il n’est pas assez grand pour faire que je puisse dormir en repos. Je causai hier de toute cette affaire avec madame Duplessis [1]; je ne puis voir que les gens avec qui j’en puis parler, et qui sont dans les mêmes sentiments que moi. Elle espère, comme je fais, sans en savoir la raison. Mais pourquoi espérez-vous ? Parce que j’espère. Voilà nos réponses : ne sont-elles pas bien raisonnables ? Je lui disais, avec la plus grande vérité du monde, que si nous avions un arrêt tel que nous le souhaitons, le comble de ma joie était

  1. Madame Duplessis-Bellière, amie intime de Fouquet. C’était elle qu’il avait chargée de retirer ses papiers de sa maison de Saint-Mandé. Elle n’en eut pas le temps. Elle fut d’abord exilée, puis revint.