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Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/636

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de ses livres, qu’un chrétien n’est pas obligé d’aimer Dieu ? Osezvous dire que cela est faux ? » « Monsieur, dit le Père en fureur, il faut distinguer. » « Distinguer, dit Despréaux, distinguer, morbleu ! distinguer, distinguer si nous sommes obligés d’aimer Dieu ! » et prenant Corbinelli par le bras, s’enfuit au bout de la chambre ; puis revenant, et courant comme un forcené, il ne voulut jamais se rapprocher du père, s’en alla rejoindre la compagnie qui était demeurée dans la salle où l’on mange : ici finit l’histoire, le rideau tombe. Corbinelli me promet le reste dans une conversation ; mais moi, qui suis persuadée que vous trouverez cette scène aussi plaisante que je l’ai trouvée, je vous l’écris, et je crois que si vous la lisez avec vos bons tons, vous en serez assez contente. Ma fille, je vous gronde d’être un seul moment en peine de moi, quand vous ne recevez pas mes lettres ; vous oubliez les manières de la poste, il faut s’y accoutumer ; et quand je serais malade, ce que je ne suis point du tout, je ne vous en écrirais pas moins quelques lignes, ou mon fils, ou quelqu’un : enfin vous auriez de mes nouvelles ; mais nous n’en sommes pas là.

On me mande que plusieurs duchesses et grandes dames ont été enragées, étant à Versailles, de n’être pas du souper du jour des Rois[1] : voilà ce qui s’appelle des afflictions. Vous savez mieux que moi les autres nouvelles.

Je trouve Pauline bien suffisante de savoir les échecs ; si elle savait combien ce jeu est au-dessus de ma portée, je craindrais son mépris. Ah ! oui, je m’en souviens, je n’oublierai jamais ce voyage : hélas ! est-il possible qu’il y ait vingt-un ans ? je ne le comprends pas ; il me semble que ce fut l’année passée ; mais je juge, par le peu que m’a duré ce temps, ce que me paraîtront les années qui viendront encore.


304. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 19 février IG90.

Si vous me voyiez, ma chère belle, vous m’ordonneriez de faire le carême ; et, ne me trouvant plus aucune sorte d’incommodité, vous seriez persuadée, comme je le suis, que Dieu ne me donne une si bonne santé que pour me faire obéir au commandement de l’É-

  1. Ce repas eut lieu le 5 janvier 1690. Il y avait cinq tables tenues par le roi, par Monseigneur, par Monsieur, par Madame et par Mademoiselle. Le roi, Monseigneur et Monsieur furent rois chacun à leur table.