Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/71

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la Bastille. Foucault tenait son arrêt à la main. Il lui a dit : Monsieur, il faut me dire votre nom, afin que je sache à qui je parle. M. Fouquet a répondu : Vous savez bien qui je suis, et pour mon nom je ne le dirai pas plus ici que je ne l’ai dit à la chambre ; et pour suivre le même ordre, je fais mes protestations contre l’arrêt que vous m’allezlire. On a écrit ce qu’il disait, et en même temps Foucault s’est couvert, et a lu l’arrêt. M. Fouquet l’a entendu découvert. Ensuite on a séparé de lui Pecquet et Lavalée, et les cris et les pleurs de ces pauvres gens ont pensé fendre le cœur de ceux qui ne l’ont pas de fer ; ils faisaient un bruit si étrange, que M. d’Artagnan a été obligé de les aller consoler ; car il semblait que c’était un arrêt de mort qu’on vînt de lire à leur maître. On les a mis tous deux dans une chambre à la Bastille ; on ne sait ce qu’on en fera.

Cependant M. Fouquet est allé dans la chambre de M. d’Artagnan : pendant qu’il y était, il a vu par la fenêtre passer M. d’Ormesson, qui venait de reprendre quelques papiers qui étaient entre ies mains de M. d’Artagnan. M. Fouquet l’a aperçu ; il l’a salué avec un visage ouvert, et plein de joie et de reconnaissance ; il lui a même crié qu’il était son très-humble serviteur. M. d’Ormesson lui a rendu son salut avec une très-grande civilité, et s’en est venu, le cœur tout serré, me conter ce qu’il avait vu.

À onze heures, il y avait un carrosse prêt, où M. Fouquet est entré avec quatre hommes, M. d’Artagnan à cheval avec cinquante mousquetaires. Il le conduira jusqu’à Pignerol, où il le laissera en prison sous la conduite d’un nommé Saint-Mars, qui est fort honnête homme, et qui prendra cinquante soldats pour le garder. Je ne sais si on lui a redonné un autre valet de chambre : si vous saviez comme cette cruauté paraît à tout le monde, de lui avoir ôté ces deux hommes, Pecquet et Lavalée ! C’est une chose inconcevable ; on en tire même des conséquences fâcheuses, dont Dieu le préserve, comme il a fait jusqu’ici ! Il faut mettre sa confiance en lui, et le laisser sous sa protection, qui lui a été si salutaire. On lui refuse toujours sa femme. On a obtenu que la mère n’irait qu’au Parc, chez sa fille qui en est abbesse. L’Écuyer suivra sa belle-sœur ; il a déclaré qu’il n’avait pas de quoi se nourrir ailleurs. Monsieur et madame de Charost vont toujours à Ancenis. M. Bailly, avocat général, a été chassé pour avoir dit à Gisaucourt, avant le jugement du procès, qu’il devait bien remettre la compagnie du grand